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LES SAINTES FEMMES MYROPHORES

HOMELIE

(Marc 15,43-16,8)

Nous autres, orthodoxes, nous devrions «baptiser» la fête des mères en la célébrant chaque année le deuxième dimanche après Pâques. En effet, ce jour-là, la sainte Eglise fait mémoire des saintes femmes «myrophores», c’est-à-dire porteuses d’aromates. Jésus était mort un vendredi dans l’après-midi. Le repos sabbatique allait commencer à la tombée de la nuit, quand apparaîtrait la première étoile. Pour ne point enfreindre ce repos, les disciples et les saintes femmes durent s’empresser d’obtenir l’autorisation de descendre de la croix le corps de Jésus et de le déposer provisoirement, à la hâte, dans un sépulcre appartenant à un certain Joseph d’Arimathie, un homme riche qui avait ses entrées chez Pilate. Le repos sabbatique s’achevait le samedi au coucher du soleil. Dès ce moment, Marie de Magdala et la mère de Jacques ainsi que Salomé entrent en scène en allant dans les boutiques «acheter des parfums pour venir pratiquer sur (Jésus) les onctions, d’huile parfumée» (Mc 16,1). Dans la précipitation du vendredi soir on avait dû parer au plus pressé. Maintenant les femmes veulent compléter les rites de la sépulture (Cf. Jn 1 9,40 ). Déjà, en Marc 14,8 on avait vu à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme verser sur la tête de Jésus «un parfum de nard authentique, d’un grand prix». Et Jésus avait remarqué : « Elle a oint mon corps d’avance pour la sépulture». Ne pouvant empêcher la mort du Sauveur, en des circonstances tragiques et qui interdisaient un deuil régulier, la femme a du moins fait ce qui était en son pouvoir. Elle a oint d’avance Jésus, elle l’a parfumé en vue de sa sépulture.

Dans la tragédie grecque antique, nous voyons l’Antigone de Sophocle désobéir, au péril de sa vie, à l’édit de Créon et donner une sépulture a son frère Polynice. Toute femme est mère : mère de son frère, mère de son époux et pas seulement mère de ses enfants. Mère, c’est-à-dire tendresse, douceur, compassion. Un monde sans femmes ne tarde pas à hypertrophier hideusement et monstrueusement la virilité, la dureté, la force et, très vite, la violence. L’univers SS des belles brutes blondes a pu comporter des «Aufseherinnen» (surveillantes portant l’uniforme SS), mais c’étaient des femmes déféminisées, des femmes virilisées, des «bourreaux femelles» qui tenaient en laisse des bergers allemands et les lâchaient sur les prisonnières de Ravensbrück.

Quoiqu’on en dise, le sexe féminin n’est pas le «sexe faible» : dans les usines, à Ravensbrück, à la campagne, la femme a pu témoigner (et elle continue à témoigner) qu’elle savait être vaillante et solide, parfois plus encore que l’homme. Mais cette solidité et cette vaillance peuvent et doivent s’allier à ce qu’on pourrait appeler une «maternité spirituelle» : encourager du regard, redonner l’espérance, pacifier par la douceur, réchauffer par la tendresse, réconforter par le sourire et la bonté. Dans le grand froid et la lourde tristesse traversée de frénésie qui s’appesantissent sur notre civilisation de technique et de drogue, les femmes chrétiennes ont un rôle essentiel à jouer : en rayonnant leur féminité ; en refusant confondre leur égalité en dignité par rapport aux hommes avec le fait de s’identifier à eux et de les singer, ce qui serait encore une façon (la pire) d’être leurs esclaves ! Il n’est pas sûr que ce soit en devenant prêtres (puis, un jour, évêques !), comme les mâles, que les femmes seront leurs égales en dignité chrétienne. Dans le Corps du Christ, aucun membre (I’oeil, la main, etc… Cf. 1 Col2,12-30) n’est inférieur ou supérieur : il doit être lui-même, irremplaçable, incomparable, irréductible dans la mesure même où il est ce qu’il doit être : lui-même. Dans l’Eglise, le charisme féminin est hors de prix : seule la femme peut apporter à l’humanité, pécheresse et déchue mais conviée aux épousailles divines, une maternité spirituelle, une douceur, une tendresse, une bonté, une compassion sans lesquelles cette humanité se déshumanise en prisant la brutalité et la dureté, la cruauté froide et systématique. L’homme (nous voulons dire : non point l’être humain, homo, mais le mâle, vir) ne saurait éviter de régresser vers l’infra-nature s’il laisse s’atrophier en lui la modalité féminine de son être. Sans une certaine féminité, l’homme est fermé au mystère. Sans la femme, la volonté virile, d’expansive et conquérante qu’elle est spontanément, devient dureté et violence, domination et possession.

Les femmes myrophores que nous voyons venir maternellement entourer de leur délicatesse et de leur amour le corps du Seigneur dont elles ignorent encore qu’il est ressuscité, sont les «mères spirituelles» de toutes les femmes chrétiennes qui, dans l’Eglise, patiemment pétrissent de douceur le cour de pierre des hommes pour en faire des cœurs de chair.

 

Père André Borrély