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DISCOURS D’INTRODUCTION à l’ ASSEMBLEE GENERALE de l’EAOK

Chers Prêtres et Diacres de notre Eglise, 
Chers Délégués des Paroisse, nos Frères et Sœurs très aimés en Christ,
Chers Invités,

C’est toujours un grand moment pour la vie de l’Eglise lorsque nous nous retrouvons réunis en Assemblée Générale, aujourd’hui tout spécialement où nous sommes appelés à élire nos deux Evêques pour les Diocèses de Tartu et de Pärnu-Saaremaa. C’est un moment historique, lequel, soixante-trois ans après notre dissolution brutale et anticanonique du 9 mars 1945, nous permettra enfin, de terminer la restructuration de notre Eglise en normalisant le dernier vide qui restait en suspens, à savoir le rétablissement de notre Saint Synode.

Je suis pour ma part convaincu que vous saisissez la grandeur de cet instant majeur pour la suite de la vie de notre Eglise et que, cet après-midi, au moment du vote, vous agirez avec foi en Dieu et détermination pour que cet objectif soit pleinement atteint.

Notre journée sera en effet divisée en deux grands moments : jusqu’au déjeuner nous aborderons l’ensemble des questions économiques qui nous préoccupent et nous vous rendrons également compte de toute notre gestion pour 2007, laquelle selon la loi doit recevoir votre approbation. L’après-midi sera exclusivement réservé aux diverses élections propres aux Diocèses, à savoir pour l’Archidiocèse de Tallinn celle des membres du Conseil Diocésain et pour Tartu et Pärnu-Saaremaa celle de leurs Evêques.

J’aimerais cependant attirer présentement votre attention sur quelques points très précis, qui fondent l’engagement missionnaire et pastoral de nos paroisses et qui, très vraisemblablement, seront approfondis par notre Saint Synode dès qu’il sera en mesure d’être opérationnel.

Le fait que la Société se sécularise de plus en plus est un grand problème pour l’Eglise. Il est incontestable que plus la sécularisation progresse, plus elle dénature notre pensée théologique et toute notre vie d’ascèse et en même temps elle « socialise » le message de l’Evangile au point que le Christianisme, plutôt que de proposer une manière d’être et de vivre, devient une idéologie ; plus encore, il tend à s’enfermer dans des petits groupes, propices à développer en leur sein des comportements et des attitudes fondamentalistes. La tendance, dans notre société estonienne, est de vouloir une Eglise qui s’engage socialement au risque de proposer un message spirituel selon le plus petit dénominateur commun. Je pourrais traduire cela de la sorte : « Le ciel c’est l’affaire des oiseaux, et des curés. Quant à nous, occupons-nous exclusivement de ce qui se passe sur la terre ».

Ainsi, deux dangers guettent sans cesse nos fidèles : soit ils se tournent vers le rationalisme pour essayer de comprendre ou d’expliquer leur foi, soit ils tombent dans le moralisme et le ritualisme. Le problème ici, ce n’est ni la raison ni la morale mais le rationalisme et le moralisme.

Il est clair que ce matin nous ne pouvons aborder la question de la sécularisation que de façon sommaire. En même temps, cela implique que nous devons nous attendre – et le plus rapidement sera le mieux – à étudier comment doit être compris notre engagement d’Eglise au sein de notre société sur le triple plan de notre devoir d’enseigner, de célébrer et de guider pastoralement notre peuple pour que la liturgie eucharistique, qui est au cœur même de la vie de toute l’Eglise, puisse recevoir toute son ampleur dans une relation féconde avec la Parole de Dieu et la charge pastorale qui nous échoit.

Cela, bien entendu, revient à repenser toute la formation spirituelle et intellectuelle de notre clergé mais aussi, dans une certaine mesure, des laïcs qui nous accompagnent dans notre tâche. Cela revient aussi à revoir en profondeur tout le programme de notre Séminaire. Dès que le Saint Synode sera constitué, je porterai cette question à son ordre du jour avec l’intention de réactualiser toute la grille de tout notre enseignement théologique, spirituel, pastoral et pratique.

Et dans le même temps, il faudra bien que notre Clergé accepte de suivre certains programmes de recyclage qui lui seront à l’avenir proposés et dont il ne pourra plus faire l’économie.

Toutefois, je sens le besoin de remercier les prêtres et les diacres qui depuis deux ans assistent de manière assidue aux cours du Séminaire, tout comme ceux qui régulièrement m’envoient leurs rapports semestriels d’activité. Grâce à eux, je peux mieux évaluer la progression de la vie de nos paroisses. Ils m’ont appris à mieux les connaître et par-dessus tout à mieux apprécier leurs efforts et le sérieux de leur travail. Encore une fois, qu’ils en soient grandement remerciés.

Les statistiques du Ministère de l’Intérieur donnent, entre les années 2000 et 2006 une nette progression de nos fidèles, passant de 18.000 à 25.000 membres. Qui ne s’en réjouirait pas ? Et il en est de même du nombre de nos paroisses, qui de 58 passent maintenant à 63.

Reste à savoir comment nous interprétons ces statistiques. Tout dépend finalement de la manière dont on définit l’Orthodoxie dans ce pays.

En effet, si l’on considère la pratique de la présence aux célébrations liturgiques, cela ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà ; la pratique est, comme pour les autres confessions chrétiennes, faible et cela les sociologues le connaissent bien.

Il y a aussi une autre manière d’analyser les statistiques, par le biais de l’appartenance. Or, nous le savons bien, on peut appartenir à la religion orthodoxe par la famille, la tradition, sans nécessairement adhérer à la confession de foi de l’Eglise Orthodoxe et inversement on peut être croyant orthodoxe sans nécessairement appartenir à l’Eglise Orthodoxe et à sa Tradition. Mais comment apprécier tout cela ? Pour ma part, tout en restant optimiste pour notre avenir, je préfère me positionner sur une note de prudence tant que nous ne serons pas arrivés à clarifier ces nuances. Si pas totalement, du moins d’une manière satisfaisante en vue de conclusions acceptables.

Il serait injuste de prétendre que la société estonienne n’est pas marquée par le sens des valeurs chrétiennes comme par exemple la fidélité, la famille, la personne…Et dans les régions où l’Orthodoxie est la mieux implantée, surtout le Setomaa et Kihnu, nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que nos valeurs ont durablement pénétré ces sociétés locales.

Reste la question des jeunes. C’est certainement notre enjeu essentiel aujourd’hui. Quand je dis les jeunes, je ne pense pas seulement aux tout-petits, aux petits ou aux adolescents. Je pense aussi à ceux que je qualifie de « jeunes adultes », la génération des 18-35 ans. Comment notre Eglise peut-elle leur tendre la main, alors que, du point-de-vue anthropologique, la grande préoccupation de ces « jeunes adultes » c’est l’amour du moment que l’on souhaite pour la vie ? N’est-ce pas alors que nous constatons qu’ils coupent leurs relations avec l’Eglise ? A des périodes cruciales pour leur existence.

Il m’arrive de constater que dans nos paroisses cette génération des « jeunes adultes » est rarement prise en compte sur le plan des statistiques et plus encore, de la vie de l’Eglise tout court. Certains parmi nos prêtres, quand ils viennent m’apporter leurs arguments à propos de la pastorale, ont un souci exclusif pour le confort des seules personnes âgées. C’est certes très louable mais je rappelle que le dialogue avec les jeunes est essentiel et que cela nous fait cruellement défaut dans la plupart des cas.

Par ailleurs, il n’est un secret pour personne que les principes de vie spirituelle que nous semons dans les cœurs des plus petits, des petits et des adolescents finissent par ressurgir à un moment ou à un autre de leur existence, et tôt ou tard ils reviennent à l’Eglise. Pour cette raison les prêtres et les parents doivent veiller à leur proposer librement ces principes et ces valeurs dès leur plus jeune âge. La présence régulière des enfants aux célébrations liturgiques est particulièrement utile et nécessaire et il est bien dommage de voir qu’ils en sont privés sous prétexte que cela…dérange les plus grands.

Quant à nous, ne perdons jamais de vue que les jeunes sont sous l’emprise de deux phénomènes : l’un concerne la recherche de la nouveauté, qui pour un temps les détourne vers d’autres horizons ; l’autre « celui de l’obéissance dite tardive », qui les ramène de nouveau vers leurs racines. C’est bien cela que nous relate la « parabole du Fils prodigue ». Le plus important pour nous dans cette parabole, c’est l’amour du Père envers son fils égaré, lequel a permis son retour dans la maison paternelle.

Les mêmes questions resurgissent lorsqu’il s’agit de nos relations avec les autres confessions chrétiennes. En Estonie, le dialogue œcuménique est bon parce que les relations entre confessions chrétiennes tendent de jour en jour à être meilleures. Sauf exceptions, il y a même un certain goût à travailler ensemble et cela est particulièrement encourageant.

Il n’en reste pas moins qu’il existe, pour moi qui suis orthodoxe, une certaine complexité à faire l’unité des chrétiens. Elle s’explique par un manque de profondeur théologique, par une absence d’ecclésiologie, de sorte que dans notre vécu de société, les croyants ne lient plus leur « être chrétien » à telle ou telle Eglise, alors que devant les questions posées, c’est d’abord et incontestablement à l’intérieur de chaque Eglise que les réponses s’esquissent.

D’autre part et sans vouloir – par délicatesse fraternelle envers les autres confessions – chercher à décrire des exemples concrets, on a, me semble-t-il, trop tendance à vouloir privilégier le local au détriment de la « dimension universelle » de l’Eglise.

Peut-être en fin de compte que nous les Orthodoxes nous n’avons pas assez compris combien positif et constructif pouvait être notre engagement au sein de l’EKN.

Quant à notre monde orthodoxe lui-même, ici en Estonie, des positionnements très différents coexistent en matière d’œcuménisme, qui vont du maintien de l’ouverture au repli identitaire. S’ajoute à cela le tragique de la division entre les frères et les sœurs d’une même Eglise, de notre Sainte Eglise Orthodoxe. Division pour laquelle malheureusement je ne vois présentement aucune issue puisque l’autre partie, car tel est l’objectif de son jeu politique du moment, ne cesse d’affirmer « qu’il en sera ainsi, que rien ne bougera pour de longues décennies ».

Mes chers Amis,

Aucune communauté n’évolue si chacun de ses membres n’accomplit pas la nécessaire conversion sur soi. Voilà l’insurrection de l’esprit et la marque de la vraie intelligence !… Et un effort d’analyse est requis, par-delà les émotions, pour agir et mettre de l’ordre dans tout le fatras spirituel et moral qui prévaut dans notre société. Vaste entreprise, qui consiste d’abord à assainir la situation à l’intérieur même de notre Eglise et en appeler à une force de propositions novatrices pour un avenir meilleur. Puisse Dieu nous venir en aide pour réussir cette haute mission.

En vous remerciant toutes et tous pour votre fidélité et votre dévouement, je vous bénis paternellement en Christ Seigneur et Sauveur.

 

Tallinn, le 12 juin 2008.


+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.