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NATIONALISME ET EGLISE

+STEPHANOS,  métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

Mes chers Amis,

CHRIST EST RESSUSCITE !

Tout d’abord permettez-moi de vous dire ma joie d’être des vôtres pour longtemps encore je l’espère parmi vous . Et aussi de remercier S.E. l’Archevêque Jean de Finlande et les organisateurs de ce congrès pour leur aimable et fraternelle invitation, comme mon excellent traducteur et fidèle compagnon le Père Heiki. Bien entendu je ne puis pas, non plus, faire mention de S. E. le Métropolite Ambroise dans le diocèse duquel nous sommes si délicatement accueilli. Le thème qui m’a été proposé : «Nationalisme et Eglise» est particulièrement complexe et épineux pour l’Orthodoxie qui se prépare à entrer dans le XXI ème siècle. Epineux parce qu’il met en cause le fondement ecclésiologique même de notre Eglise. A cause de la poussée nationaliste que connaissent nos diverses Eglises locales depuis longtemps et plus encore depuis la chute du communisme, l’Orthodoxie traverse une crise interne sans précédent. Il appartient sans doute à nos jeunes générations de tout mettre en œuvre pour la surmonter, sans quoi je ne vois pas quel avenir sera la nôtre, alors que le monde attend de nous des réponses de vie aux questions essentielles qu’il nous pose et dont nous sommes les seuls à pouvoir y mieux répondre tant sur le plan spirituel, que social et moral . je n’ai pas l’intention de faire ici un exposé rigoureux et précis. Je préfère répondre directement à vos questions, ce qui me paraît plus vivant, plus réaliste d’autant que je n’ai pas l’honneur de bien vous connaître encore. En guise donc d’introduction, je vais dégager certains points préliminaires qui ne cessent de me préoccuper et de me questionner dans mon engagement pastoral . Tout d’abord, deux mots sur l’Eglise elle-même. L’Eglise est une réalité qui tire son origine de la Sainte Trinité, de Dieu lui-même. Elle découle de la volonté du Père, laquelle est commune aux deux autres personnes de la Sainte Trinité et Elle se réalise au sein de l’Economie divine de Dieu, qui se fonde aussi sur les trois personnes de la Sainte Trinité. Par conséquent, on ne peut traiter de l’ecclésiologie, c’est-à-dire de l’Eglise sans se référer au Dieu trinitaire. Ainsi l’Eglise s’inscrit à l’intérieur de ce plan trinitaire d’après lequel le Père est Celui qui veut, le Fils Celui qui offre sa personne pour que la création toute entière s’y incorpore et entre en relation avec Dieu le Père, et le Saint Esprit Celui qui libère la création des frontières et des limitations du créé. Le but donc de la création, voulue par le Père, c’est l’Eglise, qui a pour centre le Fils. C’est pour cette raison que l’Eglise est décrite comme Corps du Christ, jamais comme corps du Père et du Saint Esprit . Mais pour que se fasse cette incorporation de la création dans le Fils et que l’Eglise se réalise, il était nécessaire d’assurer le libre consentement de l’homme. Parce que l’homme, en tant que seul être libre de la création, est celui qui, au niveau de la nature, est à même de servir comme instrument pour permettre au créé de se tourner vers Dieu. Pourtant l’homme, qui résume en lui la création, au lieu de se référer en fin de compte à Dieu, préfère hélas par trop souvent se référer à lui-même, divinisant ainsi son propre être et avec lui sa culture et son identité nationale, oubliant de la sorte que l’Eglise est d’abord une réalité qui passe par la Croix ; par ce passage elle se drape de toutes les caractéristiques de la Croix sans que cependant elle n’ait pour but et perspective de s’arrêter à cet état-là. Ces caractéristiques de la Croix elle se doit de les transformer en caractéristiques de la situation eschatologique. C’est pour cette raison que l’Eglise Orthodoxe, contrairement à l’Eglise d’Occident, insiste beaucoup sur le fait que l’aboutissement de l’Eucharistie, ce n’est pas le Golghota mais l’entrée dans le Royaume de Dieu, de sorte que toute notre ecclésiologie vise essentiellement à retourner au désir initial du Père, lequel, je le répète encore une fois, définit comme la finalité de la création l’union du créé avec l’incréé. Cela beaucoup l’oublient de nos jours dans nos Eglises et nous avons tendance à parler de l’Eglise sans faire mention de l’expérience résurectionnelle du dépassement par la Croix, sans cette expérience de la création nouvelle qui baigne dans la lumière. L’Eglise est donc cette réalité qui doit essentiellement exprimer avant toute chose la transfiguration du cosmos et non pas se mettre ou pire se soumettre aux exigences d’une culture ou d’une identité nationale. C’est donc à juste titre que j’ose dire que de nos jours l’Orthodoxie traverse une crise interne profonde parce qu’elle renverse par trop souvent, hélas, les rôles : la culture et l’identité nationales (après tout le Christ en devenant Homme s’est identifié à une culture et à une nation) peuvent être des instruments pour la transfiguration du cosmos, mais en aucun cas le contraire n’est possible quant il s’agit de l’Eglise. Saint Grégoire de Nysse avançait judicieusement qu’il revient à Dieu seul de révéler la signification de toute chose et que l’homme quant à lui se devait d’inventer les vrais mots en vue de cela : «La voix de Dieu, écrivait-il, ne se manifeste ni en hébreu, ne de manière aucune connue des nations». Il est bon de rappeler que le nationalisme a été condamné par notre Eglise comme une hérésie en 1872. Il est clair que «sa renaissance actuelle au sein de nos Eglises va à l’encontre de l’Orthodoxie, y compris, pour citer ici le Patriarche Œcuménique S. S. Bartholomée, quand le christianisme et la religion sont mis au service d’objectifs nationalistes». En effet, si les langages humains peuvent devenir la chaire de la vérité, ils ne sont pas la vérité elle-même. Pour avoir oublié cela, spécialement de nos jours, nous les orthodoxes nous avons occulté notre tâche majeure qui est «d’instruire les autres et de construire l’Eglise» (1 Cor 14, 9-19). La description dans l’Epître à Diognète, l’un des textes chrétiens importants du 2è ou du 3è siècle, de la présence des chrétiens dans le monde est tout à fait caractéristique. Je cite : «les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes, ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas des villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas d’un dialecte extraordinaire ; leur genre de vie n’a rien de singulier … tout en manifestant les lois extraordinaires et paradoxales de leur mode de vie … toute terre leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère». Après tout c’est pour cette raison que Saint Jean Chrysostome affirme qu’il n’y a aucune honte que l’Eglise adopte les langues dites barbares. «Aussi, écrit Athanase Papathanassiou, lorsque nous chrétiens orthodoxes, sommes enclins à décréter une langue (ou une nation) comme «saintes» et les autres «profanes» nous nous détournons de la tradition orthodoxe». Alors la question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir si le corps de l’Eglise vit effectivement d’abord comme Corps et comment fonctionnent nos Eglises orthodoxes de par le monde. Comment encore notre théologie est cultivée dans nos paroisses : prend-elle vraiment sa source dans l’expérience commune de l’Eucharistie, ou est-elle surtout une affaire de travail individuel ou collectivement nationaliste ou culturel ou ritualiste ou autre ? Il faudra bien un jour que toute l’Orthodoxie ait le courage d’aborder ces questions auxquelles il est désormais vital d’y apporter des réponses. Pour conclure cette courte introduction et avant de passer à notre débat, permettez-moi, mes chers amis, de vous livrer les réflexions suivantes. Si l’agir de Dieu dans l’Economie est bien trinitaire, alors Dieu le Père est bien présent dans l’ensemble de l’Histoire en intervenant sans cesse avec ses deux mains, le Fils et l’Esprit (pour reprendre ici la belle image d’Irénée de Lyon) au sein de la création, tout comme à l’égard de notre salut et de notre propre accomplissement. Le Père Lui-même agit, autrement dit se rend présent, dans l’Economie tel qu’Il est (c’est-à-dire dans le mystère de sa monarchie) et comme Il est , à savoir avec le Fils et avec l’Esprit-Saint. Par conséquent c’est à l’Eglise et à Elle seule qu’il revient de susciter ces présences qui pacifient et approfondissent et dispensent, d’abord par l’exemple, les ascèses dont à tant besoin le monde ; des ascèses qui ne dessèchent pas mais vivifient. Des hommes et des femmes capables de bénir la vie et de la faire accueillir par d’autres comme une bénédiction. Des hommes et des femmes capables de partager «la passion d’amour et de gratuité» du Père, et dont l’attitude fondamentale, pour reprendre l’enseignement de Zossime, soit «l’humilité de l’amour, … force terrible, la plus puissante» et non point la croisade, quelle que soit sa nature. Je vous remercie et surtout j’attends avec impatience de répondre à vos questions.

VAASA (Finlande) Congrès de Jeunesse finlandaise (7-9 mai 1999)