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Nécessité et buts du dialogue inter-religieux

Discours de Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée 1er

Lundi 22 janvier 2007

Votre Excellence M. René Van der Linden, Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,
Vos Excellences les membres éminents de cette Assemblée,

Chers amis,

Nous vous transmettons les marques d’amour et de respect de l’Eglise de Constantinople, qui a son siège depuis des siècles à Istanbul. Avec une joie sincère, Nous vous assurons de Notre bénédiction et de Nos vœux les plus chaleureux pour votre bonheur et votre longévité tant individuelle que collective.
En outre, Nous tenons à exprimer Notre gratitude pour l’honneur d’avoir été invité à exposer en votre présence Nos pensées et préoccupations sur ce sujet très intéressant et particulièrement d’actualité que constituent « la nécessité et les buts du dialogue inter-religieux ». Nous connaissons et louons votre zèle en faveur des droits de l’homme, du rapprochement et de l’acceptation mutuelle des cultures, ainsi que de la coopération pacifique entre les peuples, et Nous sommes pleinement conscient que vous en savez plus que Nous sur ce que Nous allons vous dire. Nous osons cependant Nous adresser à vous pour dire aussi fort et aussi clairement que possible que comme premier évêque de l’Eglise orthodoxe, Nous nous félicitons de vos travaux et de vos principes. Nous œuvrons, avec les pouvoirs limités qui sont les Nôtres, pour la primauté du respect des droits de l’homme sur le plan universel, en particulier là ou des traditions religieuses s’opposent les unes aux autres en la matière.

C’est un très grand honneur de prendre la parole devant la plus ancienne organisation politique du continent, ici, en cette ville historique de Strasbourg. Parmi les objectifs définis dans le Statut du Conseil figurent la réalisation d’une plus grande unité entre ses membres, la défense des droits de l’homme et de la primauté du droit, ainsi que la promotion de la conscience d’une identité européenne fondée sur des valeurs que partagent les différentes cultures. C’est avec ces principes en tête que Nous Nous exprimons devant votre assemblée plénière, car Notre mission a de nombreux points communs avec la vôtre. Nous représentons devant vous une très ancienne institution européenne, puisqu’elle existe depuis près de dix-sept siècles, ce qui fait peut-être d’elle la deuxième institution la plus ancienne d’Europe. Ceux d’entre nous qui la servent n’admettraient en aucun cas de la voir se cantonner dans un rôle équivalent à celui de gardien de musée. Nous sommes convaincus que la valeur de l’accueil qui Nous est réservé aujourd’hui, en tant que représentant de ladite institution, tient non seulement à la reconnaissance et à l’appréciation de l’historicité du Patriarcat de Constantinople et de la Nouvelle Rome, mais surtout à votre intérêt pour la tradition vivante de l’oecuménicité de son message. En d’autres termes, la valeur de votre accueil tient à votre intérêt pour le témoignage actif et la proposition de vie que cette institution exprime, même en notre temps. Cette proposition a une ampleur œcuménique, c’est-à-dire internationale et universelle. Comme vous le savez, l’Empire romain d’Orient, ou Empire byzantin, dans lequel s’est développée l’institution du Patriarcat œcuménique, était un système politique entièrement différent de celui de l’Etat national ou civil moderne. C’était une structure politique multinationale et multiraciale, qui aspirait à assurer la coexistence pacifique des peuples et des traditions, à savoir la Pax romana, appelée à devait devenir ensuite la Pax christiana une fois que le christianisme eut prévalu.

Une foi chrétienne vécue profondément et un droit romain en constant développement du fait de l’influence chrétienne et de l’enseignement très répandu du grec constituaient les principaux fondements de la civilisation byzantine. Mais ces éléments unificateurs n’annulaient en aucun cas les particularités et l’individualité de chaque tradition culturelle constituante. Un exemple caractéristique du respect de ces particularités et de cette individualité est le fait qu’il n’y eut aucune tentative d’assimiler nationalement ou d’helléniser les peuples christianisés. Au contraire, on laissait à ceux-ci le loisir de développer leurs particularités, comme le démontre l’apport d’un alphabet spécial au monde slave, entre autres exemples analogues.

La Patriarcat de Constantinople et de la Nouvelle Rome, qui a reçu la qualification « œcuménique » au sixième siècle, par décision du 4ème Concile œcuménique de 451, a obtenu le droit d’avoir sous son autorité tous les territoires situés hors des frontières de l’Empire byzantin qui ne relevaient de la juridiction d’aucun autre patriarcat. Cela étendit et intensifia la communication du Patriarcat avec une multitude de peuples et de traditions, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières légales de l’Empire, de sorte que le dialogue avec les peuples ayant une autre religion comme avec les chrétiens hétérodoxes devint partie intégrante de son existence.
Cela explique que pour le Patriarcat œcuménique, le dialogue – loin d’être sans précédent ou apporté par la seule modernité – se confond avec un vécu et une pratique plus que millénaires.
Après 1054, année où le schisme entre les Eglise d’Orient et d’Occident s’est officialisé, le Patriarcat œcuménique est devenu le truchement et le porte-voix de l’unité universelle des orthodoxes. C’est en vertu de cela que le Patriarcat œcuménique dialogue avec les Eglises nées après le schisme et la Réforme, avec le sens de sa responsabilité pour le service de la vérité et la restauration de l’unité primordiale de tous les chrétiens.
En 1453, après que l’Empire ottoman eut succédé à l’Empire byzantin, le Patriarcat œcuménique est devenu le représentant, auprès du Sultan, de tous les chrétiens vivant dans les limites du nouvel empire. Il apparaît que le Patriarcat œcuménique a maintenu un constant dialogue avec le monde musulman, mais pas toujours sur un pied d’égalité. Depuis près de six siècles, le Patriarcat œcuménique vit avec des musulmans et dialogue avec eux à plusieurs niveaux, en poursuivant des objectifs différents. Ainsi que nous avons coutume de le dire en Turquie, nous entretenons avec nos frères musulmans non seulement un dialogue académique, mais aussi le dialogue de la coexistence. En outre, on a assisté au cours des dernières décennies à des efforts particuliers en vue du développement des dialogues interreligieux, notamment entre les trois grandes religions monothéistes. De nombreuses consultations académiques entre représentants de premier plan des trois religions monothéistes ont eu lieu, soit à notre initiative, soit avec notre participation ; beaucoup de décisions importantes et intéressantes y ont été prises, et plus d’une déclaration importante y a été signée. En outre, pour favoriser les occasions de mieux se connaître et de cultiver l’amitié, Nous Nous sommes rendus en personne – après y avoir été officiellement invités – dans de nombreux pays à population musulmane. La nécessité et l’utilité des dialogues interreligieux sont devenues un bien de l’humanité.

Nul n’ignore que les habitants de notre planète confessent de nombreuses religions et qu’en maintes occasions, diverses tendances et obédiences se sont développées au sein de chaque religion, bien souvent avec des croyances contraires à celle de la religion-mère. L’histoire nous a enseigné aussi qu’à de nombreuses reprises dans le passé, comme en certaines occasions à notre époque, des motifs religieux ont été invoqués afin de pousser des individus, voire des populations entières à la guerre ou d’exaspérer l’activisme des parties en présence. Parmi ceux qui cherchent à entrevoir l’avenir de l’humanité, il en est même qui jugent inévitable un affrontement sanglant entre les religions et les populations ayant des religions différentes. Certains vont jusqu’à croire que Dieu a besoin de leur force pour imposer Sa volonté au monde.

Nous autres, toutefois, c’est-à-dire les peuples de ce qu’on appelle la civilisation occidentale, sommes persuadés que la foi religieuse pure ne trouve aucune dilection dans le fait d’inciter ses fidèles à déclarer la guerre et à entrer en conflit avec les fidèles d’autres religion, car la vérité ne passe ni par la puissance militaire, ni par une supériorité numérique ou, d’ailleurs, toute autre forme de supériorité. La conviction que la Vérité et la récompense divines se traduisent par une victoire guerrière n’a plus cours désormais, car elle est erronée. On accède à la vérité par le verbe et par l’expérience personnelle que fait d’elle un cœur pur et désintéressé. Selon le prophète Elie, le Seigneur S’est révélé en un léger murmure, et non par le feu et les tremblements de terre.
C’est pourquoi, si nous voulons progresser vers la connaissance de la vérité, qui libère l’individu des chaînes où l’enferment les préjugés et toutes sortes de tromperies, nous devons utiliser dans une intention pure et désintéressée le présent de la parole fait au monde par Dieu. Toute parole échangée avec nos interlocuteurs comme expression et justification de nos convictions devient un dialogue. Et c’est absolument nécessaire, car cela constitue la marque même de l’existence de tout être humain en tant que personne. Beaucoup de créatures ont reçu la capacité de recevoir des messages de leur milieu et d’y réagir, mais de toutes les créatures, seul l’être humain peut se servir de mots pour converser avec ses semblables.

Le dialogue s’impose non du fait de tous les avantages qu’il peut avoir, mais d’abord parce qu’il est inhérent à la nature de la personne humaine. C’est si vrai que tout individu refusant de participer à un dialogue rejette du même coup cette faculté même de la nature humaine. En fait, non seulement il refuse cette qualité humaine à ceux avec qui il n’accepte pas de dialoguer, mais il abolit manifestement sa propre qualité d’être humain, car en ne montrant aucun respect à la personne et à la dignité de l’autre, il agit comme s’il lui manquait la caractéristique la plus essentielle de l’humanité, qui est le respect de la personne humaine aussi bien en soi-même que dans des tiers. Selon les enseignements chrétiens tels que les a exprimés un contemporain expérimenté, Dieu a gravé Sa marque dans l’être humain ; il s’agit d’un sceau créateur profond et inaltérable, que Dieu ne révoque jamais. Le sceau de Dieu, c’est la liberté de l’être humain.

Très intéressant, à cet égard, est le fait que ce sont des gens culturellement plus avancés que les peuples anciens qui ont fait du dialogue entre les juges et les justiciables ou les parties à un procès la condition sine qua non de la validité et de la légitimité des sentences judiciaires. Ces principes essentiels de tout procès équitable continuent de s’appliquer jusque dans notre monde contemporain. Quiconque est appelé à trancher un différend judiciaire doit entendre soit les deux parties en présence, soit le plaidoyer de l’accusé, ce qui repose sur le principe du dialogue. Avec la règle suprême du dialogue qui en découle, il y a là l’expression sublime du respect de la personne humaine. Le pape Benoît XVI n’a du reste pas dit autre chose dans son message du Nouvel An 2007. C’est ce respect qui constitue le critère principal du niveau de développement spirituel de toute personne ; c’est en lui qui résident à la fois la règle fondamentale et l’inébranlable piédestal de tous les droits de l’homme.
Selon notre prédécesseur, Saint Jean Chrysostome, le Sublime de tous les êtres, Dieu, est en dialogue constant avec nous, signe de l’honneur suprême imparti à l’humanité. Dieu ne refuse pas le dialogue, pas même à ceux qui dénient honnêtement son existence. Mais il ne peut dialoguer avec les fuyants et les sournois, avec ceux dont le cœur n’est pas pur. Car le dialogue présuppose l’honnêteté et devient objectivement impossible face à la duplicité, au secret ou à toute autre sorte de calcul.

Chacun sait que la dynamique de notre monde actuel est un mélange de luttes de pouvoir et de dialogues de toutes sortes. Beaucoup tentent d’imposer leurs opinions et leurs convictions au moyen de divers types de pouvoirs, culturels, moraux, économiques, terroristes ou même militaires. Dans le même temps, nombreux sont ceux qui discutent d’une multitude de questions et tentent de convaincre leurs interlocuteurs de la validité et de l’exactitude de leurs positions. De ces deux voies, celle qui est en accord avec le respect de la personne humaine, et avec les droits de l’homme, est la voie du dialogue, car elle refuse de s’imposer de manière violente et inhumaine.
Le dialogue interreligieux appliqué à la religion elle-même est l’un des dialogues les plus difficiles, car les religions dites révélées reposent sur l’affirmation qu’elles sont l’expression du divin par la révélation de Dieu lui-même. Toutefois, la dispersion des groupes religieux et les convictions opposées qu’ils professent prouvent que certains ont tort par défaut, une religion excluant nécessairement l’autre ; or il est, bien sûr, impossible et impensable que Dieu puisse se contredire lui-même. Par conséquent, le fait que l’un de ces enseignements, mutuellement exclusifs, ne vienne pas de Dieu, mais des hommes, et de leur fausse interprétation de la Révélation divine, doit être accepté sans contestation.

En cela, il y a largement de quoi s’interroger sur ce que peut être la vérité à chaque fois qu’une chose présentée comme la vérité s’exclut elle-même. La discussion calme et dépassionnée et le dialogue sincère permettent de détecter les différences et de retracer le fil des interventions humaines qui altèrent la vérité divine et conduisent à soutenir des enseignements qui, en prétendant exprimer la vérité divine, se réfutent mutuellement, ce qui est impossible.
Nous ne pensons bien évidemment pas que le but du dialogue interreligieux est d’amener chacun à renoncer à ses convictions religieuses. Nous ne pensons pas non plus que la tâche soit facile, surtout en des temps comme les nôtres, où le monde est le théâtre de nombreuses guerres. La cause en est qu’en de nombreuses occasions, les hommes utilisent leurs différences ou leurs convictions religieuses comme un élément de leur spécificité et de leur individualité et qu’ils considèrent cette spécificité comme la pierre angulaire de leur hypostase nationale ou de ce qui constitue leur différence. En conséquence, dans la mesure où la conscience et l’hypostase nationales sont un élément incontournable de la particularité et de l’individualité des peuples et des nations, les hommes défendent légitimement leurs droits indéfectibles à définir eux-mêmes leur religion, bien que Nous ne pensions pas qu’il soit correct de mettre la religion au service de la nation. En tout état de cause, nous aurons, dans les nombreux siècles à venir, de nombreuses religions et encore plus d’obédiences religieuses divergentes. Du fait de la mondialisation de l’économie et de l’information, les fidèles des différentes religions sont en contact fréquent et leur dialogue informel devient quotidien. Dans un certain sens, même le dialogue entre autorités religieuses est encouragé, car les dignitaires religieux ne peuvent ignorer la réalité, ni se confiner dans un isolement égoïste. D’une manière ou d’une autre, les religions qui se considèrent comme les détentrices et les porteuses de la vérité divine, se sentent obligées de répandre leur foi et, par définition, ne peuvent pas s’isoler.

La situation difficile qui prévaut actuellement pour ce qui est du dialogue interreligieux sur le plan théologique n’empêche pas, mais au contraire, favorise la rencontre des personnes et des idées, le développement de la tolérance et de la coexistence religieuses, l’élimination du fanatisme et d’autres préjugés bien ancrés. Ces objectifs sont d’une grande importance, car ils servent la paix, qui est le fondement de tout progrès culturel.

À cet égard, il apparaît que l’éducation à la religion est insuffisante, notamment pour ce qui est des religions minoritaires dans un pays donné. Cette insuffisance est observée même chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Elle se traduit par la circulation de toute une série de perceptions et de préjugés trompeurs, qui font obstacle à la coopération pacifique entre les peuples. C’est grâce au dialogue systématique que le niveau de compréhension mutuelle et de connaissance des paramètres religieux des autres peuples et civilisations pourra être amélioré et que les préjugés tenaces pourront être éliminés. Nous ne pouvons ignorer le fait que, pour de nombreux peuples et civilisations, la foi religieuse et l’élément religieux en général jouent un rôle important dans la vie privée, sociale et nationale, beaucoup plus que dans les sociétés occidentales contemporaines. Evidemment, nous ne souhaitons pas seulement que le monde chrétien améliore sa perception du monde non chrétien ; nous voulons aussi que la compréhension de la chrétienté s’améliore dans le monde non chrétien. Malheureusement, bien souvent, des chrétiens ont eu des actions et des comportements bien peu chrétiens, ce qui a généré l’impression, largement répandue, que ces actions et ces comportements étaient approuvés par la chrétienté. De même, les actions d’adeptes d’autres religions sont souvent mises au crédit de ces religions, qui n’y sont pour rien. Il est donc nécessaire de clarifier le contexte propre à chaque religion, de le débarrasser des visées égoïstes de ses fidèles et de reconnaître ce qui est de la responsabilité de ces derniers et non de la religion elle-même.

L’établissement clair des responsabilités, qui est l’un des objectifs du dialogue interreligieux, protège des peurs qui, issues du passé, font toujours obstacle à une coopération pacifique et bien intentionnée.

Un autre objectif important du dialogue interreligieux est le rapprochement des vues sur la question essentielle des droits de l’homme. Il est établi que la civilisation occidentale, sous l’influence des principes évangéliques de l’égalité des êtres humains, de la liberté de conscience et d’existence, de la protection des faibles, de la justice et de l’amour, parmi de nombreux autres, mais aussi sous l’influence de l’humanisme, a, en particulier depuis l’époque des Lumières, progressivement hissé l’institution des droits de l’homme à un niveau élevé. Cette évolution est opposée à celle d’autres civilisations, dont certaines s’occupent fort peu des droits de l’homme ou ont même une législation discriminante envers certaines catégories de personnes, comme les minorités, les femmes, les enfants, les esclaves, etc.

Elles ont même développé des enseignements métaphysiques selon lesquels cette situation serait conforme à l’ordre des choses humaines voulu par Dieu. Comme on le sait, cette vision, qui justifie moralement la violation de droits fondamentaux au moyen de croyances religieuses et métaphysiques, n’est pas facile à abandonner.
Quoi qu’il en soit, si nous souhaitons améliorer les conditions de vie de toutes les personnes visées par nos déclarations, alors nous devons inscrire ces questions à l’ordre du jour de nos dialogues interreligieux.

Nous sommes convaincus que la force morale du respect de la personne humaine, indépendamment du sexe, de l’âge, de la race, de la religion, de la situation économique, de l’instruction ou de tout autre facteur, est si forte qu’elle finira par vaincre et supplanter les infirmités spirituelles tenaces qui permettent à ceux qui détiennent le pouvoir d’ignorer ou, pire, de violer légalement les droits de l’homme. Un gros effort est nécessaire pour permettre à ceux qui n’ont pas toujours respecté les droits de l’homme de discuter de ces questions.

Néanmoins, il est très encourageant qu’il se trouve toujours, dans chaque société, des esprits progressistes, conscients de l’importance des droits de l’homme, qui œuvrent inlassablement pour que l’utilité sociale de ces droits soit plus largement reconnue, même dans les civilisations auxquelles ces concepts ne sont pas familiers.
À ce propos, nous devons dire que le Patriarcat œcuménique et la minorité orthodoxe grecque de Turquie estiment qu’ils ne jouissent toujours pas pleinement de leurs droits : ainsi, le Patriarcat œcuménique n’est-il toujours pas légalement reconnu, l’Ecole théologique de Chalki est interdite, de nombreuses questions de propriété et autres se posent. Nous reconnaissons toutefois que nombre de réformes ont été faites et que des mesures remarquables ont été prises pour mettre le droit interne en conformité avec les normes européennes. C’est pourquoi nous avons toujours soutenu les ambitions européennes de la Turquie, dans l’espoir de voir adopter les mesures qui restent à prendre pour satisfaire aux critères de l’Union européenne.

Mais ce que portent en germe les dialogues interreligieux en cours, c’est l’esprit de tolérance, la réconciliation et la coexistence pacifique des fidèles des différentes religions, libérés du fanatisme et de la peur. Loin des positions politiques qui, bien souvent, nourrissent la discorde et la confrontation, enfermant à la fois victimes et coupables, nous nous efforçons, encore et toujours, de semer l’idée de l’égalité des droits et des responsabilités pour tous et l’esprit de coopération pacifique, indépendamment de la religion. Car ce n’est qu’en ouvrant notre cœur et notre esprit et en acceptant l’autre et ses différences à l’égal de nous-mêmes qu’il est possible de construire la paix en ce monde.

Les dialogues interreligieux ont encore un autre but et une autre vertu, qui ne sont pas moins importants que les précédents : ils permettent à chaque fidèle de s’enrichir spirituellement en considérant les choses à travers le prisme d’une autre religion. Cet enrichissement nous libère de la partialité ; il nous permet de parvenir à une compréhension plus élevée et plus large de nos croyances; il nous fortifie intellectuellement et nous mène très souvent à une expérience plus profonde de la vérité et à un niveau très avancé de notre cheminement dans la présence de la révélation divine.

Ainsi, l’amour en tant que sentiment désintéressé et expérience du sacrifice envers l’aimé est un défi extrême de la conscience, mais il n’est pas exigé de tous simultanément, car beaucoup, dans leur obstination, ne sont pas prêts à accepter une demande si exigeante, un sacrifice si élevé.

Pourtant, cet amour, auquel seuls quelques-uns parvenaient au début, a atteint le point où il motive l’action et les programmes d’institutions comme le Conseil de l’Europe, où il inspire les efforts faits pour soulager la pauvreté et venir en aide aux victimes de catastrophes naturelles, où il amène à reconnaître et protéger les droits de l’homme en général et la liberté religieuse, parmi de nombreuses autres actions, qui auraient été jugées impossibles et utopiques il y a quelques siècles, ou même quelques années.

Nous pouvons trouver motif à faire le bien dans de nombreuses religions, si nous le voulons vraiment. La quête commune de ces motifs dans le dialogue sera, à coup sûr, très fructueuse. Il est en notre pouvoir de choisir, à chaque fois, la solution la plus adaptée, l’approche la plus pacifique, celle qui respecte le plus l’être humain, celle qui renforce la paix, la solidarité, l’altruisme, l’amour. Nous sommes obligés de gravir les degrés de l’échelle du bien, de ne pas les descendre. Allons-y, montons au degré supérieur, pour le bien de tous.

Nous, premier évêque de l’Eglise orthodoxe, Nous devons de servir la dimension humaine et pacifique de l’Evangile chrétien. C’est avec le courage que Nous donne cette mission que Nous osons, du fond du cœur, lancer cet appel à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire aux personnes dont la responsabilité est de jouer le rôle décisif des sociétés européennes dans l’ordre et la paix du monde.

Utilisez, chers amis, votre influence, votre art et votre science politiques pour restaurer la libre existence et la libre expression des traditions religieuses dans notre monde. Pour que les citoyens de nos Etats contemporains ne soient pas persécutés, exclus et marginalisés, qu’ils ne soient pas privés de leurs églises et de leurs biens juste parce que leurs convictions religieuses sont différentes.

Nous sommes convaincu que le Conseil de l’Europe ne s’intéresse pas seulement aux divers avantages des pays européens, mais aussi à la préservation et au développement des acquis de la civilisation qui constituent l’identité même de l’Europe. La liberté religieuse et les droits de l’homme en général font partie de ces acquis. Toute atteinte à la liberté religieuse et aux droits de l’homme mutile la civilisation humaine. Elle est signe de régression, coup porté à l’espérance humaine. Nous avons l’espoir profond et inébranlable que les choses s’amélioreront, grâce à votre contribution à tous, vous, aimés et honorables membres du Conseil de l’Europe. « L’espoir ne nous abandonnera pas », comme le dit Saint Paul.

Nous vous remercions pour votre amour et la patience avec laquelle vous avez écouté les mots de Notre cœur. Nous vous souhaitons santé et réussite en cette nouvelle année, pour le bien de l’Europe et de toute l’humanité.

 

Source : Conseil de l’Europe ; www.coe.int