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AVONS-NOUS FAIM ? (Mt 14, 14-21)

Dimanche 3 août 2014 : AVONS-NOUS FAIM ? (Mt 14, 14-21)

Chers Frères et Sœurs en Christ,

C’est avec immense émotion que nous nous retrouvons ici ce matin pour y  célébrer la Divine Liturgie après un long, très long temps de silence. Et  il me vient à l’esprit ces versets que nous trouvons dans nos livres liturgiques : « celui qui, lorsque les vents soufflent, sème des semences de désolation et qu’il les arrose de ses larmes, celui-là même, lorsque le temps s’est accompli, récolte des fruits qui le nourriront pour l’éternité ».

C’est bien de cela qu’il s’agit en ce moment. Ce lieu, humilié et profané pendant tant d’années, retrouve en ce moment sa dignité et s’apprête d’accueillir sur son autel sacré le saint corps et le saint sang de son divin Sauveur, le Christ ressuscité, vainqueur de la mort. C’est ainsi que le Seigneur est venu aujourd’hui « changer, comme les eaux vives dans les déserts du Midi, la destinée de cette Eglise, qui semblait vouée à une disparition définitive, (Psaume 125,4) ».

Pendant des décennies, un vent très froid et violent venu du Nord a soufflé sur ce Temple, le rendant muet et désemparé, livré à lui-même sans plus aucun espoir de retrouver, du moins à vue humaine,  la beauté de son illustre passé. Ceux qui avaient agi de la sorte pour la fermeture de ce lieu de culte n’avaient d’autre but que de provoquer Dieu et le mettre à l’épreuve à travers le mépris qu’ils affichaient pour tous ceux qui Le confessaient dans cet espace sacré.

« Mais, nous dit Saint Paul,  ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce que l’on sème, on le récoltera. Qui sème en sa chair, récoltera de la chair, la corruption ; qui sème en l’Esprit, récoltera, de l’Esprit, la vie éternelle  (Galates 6, 7-8) ».

L’histoire de ce pays nous a appris que « ceux qui labourent l’iniquité, ceux qui sèment la souffrance, comme ce fut le cas durant des décennies au siècle passé, ceux-là les moissonnent  (Job 4,8) à leur détriment ». A nous de tirer les leçons qui s’imposent aujourd’hui si nous ne voulons pas à notre tour nous laisser séduire et abuser par les seuls biens matériels dont la finalité n’est rien d’autre que vanité et néant. C’est en tout cas le sens du texte évangélique que nous venons de lire.

L’évangile de ce matin nous expose en effet  un miracle de Jésus qui se déroule en deux étapes : la première qui est la distribution du pain et du poisson au cours de laquelle la foule  mangea à satiété ; la deuxième lorsqu’il resta encore douze corbeilles pleines que l’on emporta.  Jésus, nous dit encore l’évangile, tourne les yeux vers son père céleste avant toute autre démarche, parce que l’acte qu’Il va poser est essentiellement un don de grâce qui vient d’en-haut. Puis Il remercie son Père, bénit les cinq pains et les deux poissons et  charge ses disciples de la distribution. Ainsi, avant de satisfaire les besoins du corps, le Christ insiste sur le fait que rien ne peut se faire sans d’abord demander le don de l’Esprit, sans d’abord recevoir la bénédiction du Père qui est dans les cieux. C’est bien en  cela, me semble-t-il, que réside l’enseignement du passage évangélique que nous venons de lire : avant toutes choses, d’abord se tourner vers Dieu et seulement après nous soucier de ce qui nous est nécessaire pour assurer notre quotidien car tout vient de Lui.

Pour cette raison, la lecture de l’Evangile du jour en ce lieu particulier qui est le Temple du Seigneur, nous plonge dans ce contraste entre le fait de semer en sa chair, c’est-à-dire uniquement dans le but d’acquérir le plus possible de biens de ce monde et à n’importe quel prix, et celui de semer en l’Esprit Saint, c’est-à-dire en vue de l’acquisition des biens du Royaume de Dieu.

Ce texte de l’évangile nous montre très précisément que Jésus connaît la vraie faim des hommes. Non pas uniquement la faim du pain qui nourrit l’homme corporellement et qui au bout du compte est destiné à périr mais par-dessus tout la faim du pain qui subsiste jusque dans la vie éternelle et que nous recevons au cours de la célébration de la Sainte Eucharistie. Ce pain impérissable, cette nourriture éternelle et sans cesse renouvelée, c’est le Corps et le Sang du Christ, que « Dieu le Père a marqué de son sceau (Jean 6,27) ».

« C’est moi le pain de vie, dit Jésus à ses disciples : qui vient à moi n’aura jamais faim et qui croit en moi n’aura jamais soif. Mais je vous l’ai dit : Vous me voyez et vous ne me croyez point…(Jean 6,35-36).

Ces paroles ne sont pas du goût de plusieurs de ses disciples comme d’ailleurs, est-il besoin de le souligner, elles ne sont certainement pas du goût d’un bon nombre de nos contemporains. « Ce langage-là est trop fort, lui disent-ils, qui peut l’admettre…Cela vous choque, leur répond-Il ?… C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. Mais il est parmi vous qui ne croient pas »(Jean 6,60-64).

Jésus regarde ses disciples, Jésus nous regarde tous, un par un, avec une lucidité d’amour qui fait éclater en lui la compassion de Dieu : je vais vous donner du pain et beaucoup plus, c’est moi le pain de votre grande faim.

« Je vais vous donner beaucoup plus » : telle est finalement l’explication du miracle qui, à partir d’un petit rien de cinq pains et de deux poissons, va satisfaire la faim de toute une  foule d’hommes, de femmes et d’enfants tandis qu’il restera un trop plein de nourriture de douze corbeilles pleines.

Mais être nourri par le Christ exige aussi de notre part le vif réveil de la foi et cela nous demande une certaine préparation spirituelle et une nécessité d’entretenir constamment notre foi.

Un chrétien croyant est pris par deux réels. Le réel de la vie : travail, loisirs, soucis, amours et peines. Et le réel de Dieu. Ce ne sont pas deux réels juxtaposés ou qui s’opposent comme on est tenté de l’imaginer. Sans Dieu, le réel de la vie est pauvre, clôturé et lourd. Envahie par le réel de Dieu, c’est notre vie elle-même qui éclate sans limites, joyeuse, transfigurée.

Le tout est de savoir où nous en sommes  par rapport à notre propre foi. Si vraiment nous avons réellement faim de Dieu, alors nous savons pourquoi nous sommes venus ici, pourquoi il y a eu tant d’efforts pour la remise en route de ce lieu spirituel.

Chers Frères et Sœurs en Christ,

Le réel du quotidien de notre existence terrestre  est là, très présent et il suscite mille et mille faims dans notre existence. Par contre, le réel de Dieu a sans cesse besoin d’être appelé par notre foi. Elle seule peut nous dire à quel point Dieu est plus réel que tout et c’est quand elle nous dit cela que la grande faim monte en nous.

La seule et unique nécessaire grande faim en Christ, qui nous restaure et nous conforte à tout moment dans notre quête de la vie éternelle … Amen !

+Stephanos, métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie