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III Congrès Mondial de la Pastorale pour les Etudiants Internationaux

 

Béatitude,
Eminences,
Excellences,
Frères et Soeurs bien-aimés, Membres du Clergé et Laïcs,
Amis du monde universitaire,

Je ressens une vive joie et une immense émotion de me trouver parmi vous comme représentant de Sa Sainteté le Patriarche Oecuménique de Constantinople Bartholomée pour vous transmettre ses salutations, pour vous exprimer ses voeux de totale réussite eu égard aux objectifs de ce Congrès qui a pour thème central « les Etudiants Internationaux et la Rencontre des Cultures » et pour vous assurer toutes et tous de son immense et indéfectible intérêt pour tout ce qui touche à l’avenir des Jeunes du monde entier, quels qu’ils soient. Vous dire aussi de sa part que la réflexion sur les problèmes de la vie est une aventure de l’Eglise toute entière et non pas seulement de ses théologiens et de ses moines ; que les défis de l’éducation et de la rencontre des cultures ne sauront être relevés par la simple utilisation de nouvelles techniques, de nouveaux manuels, de nouveaux supports ou par un changement de méthodes de travail ou de programmes, parce toute éducation, et qui plus est spirituelle, n’est pas que synonyme de transmission de connaissance ; elle doit nécessairement passer par la vie. Il s’agit donc de nouvelles options qui réclament de nouvelles initiatives, sans pour autant dissocier le message de l’Eglise de la vie même de l’Eglise, du moins en ce qui nous concerne, nous, qui nous nous réclamons du Christ.

A cela et à titre très personnel, s’ajoute le très grand plaisir de revoir pour la troisième fois mon frère bien-aimé l’Archevêque Antonio Maria Vegliò, pour lequel je ressens une très vive amitié. J’imagine l’immense travail que son équipe et lui-même ont réalisé pour nous réunir ici à Rome et nous offrir ainsi l’occasion de partager une telle expérience. Pour tout cela, un très très grand merci du fond du coeur.

Faisant suite à l’appel du Saint Père pour « une pastorale fructueuse de communion » de la part des Eglises et compte-tenu qu’ « il est évident que le mélange de nationalités et de religions croît de façon exponentielle », ainsi que nous le rappelle Mgr l’Archevêque Vegliò lorsqu’il souligne le lien établi par le pape entre migrations et nouvelle évangélisation, qu’il me soit permis de proposer à votre aimable attention certains éléments qui seront, je l’espère, autant d’axes de réflexion et de recherche dans un cadre d’une région très précise, celui de la Méditerranée, de laquelle je suis moi-même originaire de par mes parents.

Ce choix de ma part se justifie d’autant plus qu’au mois de septembre dernier, les Patriarches Orthodoxes d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem ainsi que l’Archevêque de Chypre se sont rencontrés au siège du Patriarcat Oecuménique de Constantinople, au Phanar, pour étudier de plus près les conséquences actuelles, que suscitent les questions de la gouvernance de leurs sociétés pluralistes. Comment, notamment dans le monde arabe, instituer une relation novatrice entre le religieux et le politique, qui soit un facteur de progrès et non pas de régression, aussi bien qu’un facteur d’épanouissement de toutes les composantes essentielles, chrétiennes et musulmanes, pour soutenir les causes justes de la dignité de la personne humaine. Comment de même inciter les chrétiens d’Orient à mettre un frein au déracinement progressif de leur propre terre et de leur société en s’efforçant de sortir, avec audace évangélique, de la logique d’une communauté  tantôt repliée sur elle-même, tantôt tolérée ou protégée. Comment enfin défendre, avec leurs compatriotes musulmans, un espace de liberté, de fraternité et d’égalité de la personne humaine pour témoigner du Christ  et de « l’espérance qui est en nous » (1 Pierre 3,15), là-même où le Seigneur a invité les chrétiens d’Orient à vivre et agir avec intelligence et audace.

Cette attention particulière pour les peuples qui vivent autour de cette mer rejoint bien les propos du Saint Père, lorsque, dans son message du 25 octobre, qui a trait aux migrations et à la nouvelle évangélisation, il recommande d’ « intensifier l’action missionnaire tant dans les régions de première annonce que dans les pays de tradition chrétienne ». Or, bien des valeurs ont fleuri, tout au long des siècles, au sein même des trois religions monothéistes, que sont le judaïsme, l’islam et le christianisme, tous trois, historiquement apparus au Moyen-Orient, autour du bassin méditerranéen. Et ces valeurs sont, rappelons-le brièvement, la foi en un Dieu unique, le caractère sacré de la personne humaine, l’amour capable de dépasser toutes les frontières et toutes les discriminations par la compassion, le pardon,  la justice et la paix ; tant il est vrai que déjà au Moyen-Age une culture méditerranéenne relativement unifiée s’était établie, utilisant, chez les chrétiens comme chez les musulmans, une raison proche à la fois du logos grec et de la Sagesse biblique.

Il est bien connu que l’homme méditerranéen s’adonne plus volontiers au langage de l’amitié qu’à celui de la domination, préférant la chose dense et bonne à l’objet industriel. Pour lui, l’ « être est relationnel », se plaisent à le préciser le théologien et penseur grec Christos Yannaras, tout comme le Métropolite de Pergame Jean Zizioulas où Georges Nahas de l’université de Balamand (Liban) ; il est intérieur à la communion des hommes entre eux et avec le Dieu vivant.

Pourtant, cette mer risque aussi de mourir par pollution physique et morale, par incapacité d’équilibrer sa rive septentrionale, où les hommes mangent à leur faim et sa rive méridionale, trop peuplée, trop peu développée, où grandit encore de nos jours un fanatisme de désespoir. Pour créer un équilibre pacifiant entre ces deux rives ( n’en déplaise à ceux qui considèrent cela comme utopique ), il faut des desseins visionnaires, animés non seulement par les responsables politiques et culturels mais aussi, surtout et maintenant par les religieux qui entourent ce bassin méditerranéen afin d’établir une authentique et active collaboration en vue de la survie de cette mer, laquelle, depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos temps présents, semble sans cesse récapituler l’histoire du monde. Une réponse de notre part dans cette direction pourrait être cette citation du Métropolite grec-orthodoxe du Mont Liban Mgr Georges Khodr : « Le Christ n’est pas une institution. Il est pour ceux qui souffrent, valeur, acte, transformation des coeurs dans le sens de la douceur, de la simplicité, de l’humilité, du Jihâd ( non pas dans son sens dérivé qui désigne la guerre mais essentiellement, uniquement dans son sens initial qui signifie effort, combat intérieur). » Permettez-moi de vous citer ici une citation du grand poète mystique de langue turque Younous Emré (XIIIe/XIVe ss.), qui à elle seule résume ce lieu unique au monde de rencontre, d’échange des cultures, des civilisations et des religions qu’est le bassin méditerranéen : « Le Sinaï,…la Bible et l’Evangile, le Coran, le Talmud, la sentence de lumière, tout est dans l’être… ».

A des niveaux différents, d’autres espaces  plus ou moins similaires peuvent toujours trouver leur équivalent dans tout autre contexte géographique et humain dans le monde. Autant de lieux qui peuvent susciter à nos Eglises réciproques un désir ardent d’aborder, en tant que Chrétiens, « une pastorale fructueuse de communion », selon le  souhait de Sa Sainteté Benoît XVI.

Une vraie pastorale de communion par lesquelles la foi chrétienne pourra rester dans la société sécularisée. Une vraie pastorale de communion, qui devrait pouvoir mettre l’homme devant ce qui ne sert à rien mais éclaire tout parce qu’il existe encore des réalités secrètes que l’on ne peut ni expliquer ni acheter, mais seulement admirer, seulement contempler. Une  vraie pastorale de communion, qui devrait pouvoir permettre à l’homme de saisir son existence comme une célébration, comme une fête où il pourra enfin trouver une parole, des images et des gestes de vérité, même si l’histoire folle de ce début du XXIe siècle semble sans cesse le faire  taire. Enfin, une vraie pastorale de communion, qui, en ne se situant prioritairement qu’au seul niveau des légitimations ultimes, devrait permettre de faire réfléchir la société et de lui rappeler sa possibilité et surtout son sens de l’amour et non pas la laisser s’enfermer dans cette fascination par la mort que désormais elle ne cesse de se secréter, engendrant de la sorte en elle une sorte d’angoisse du crime. Contre l’autre ou contre elle-même !

Au-delà de tout, l’être humain est d’abord mystère. Un mystère qui s’inscrit et se circonscrit dans un visage. Et ce visage ne peut vivre avec les autres que dans la communion née de l’amour. Une telle vision doit nécessairement être prise en compte dans la dimension de notre pastorale pour exclure toutes nos peurs, qui n’ont rien de commun avec l’amour et inclure toutes les formes d’amour qui, elles, n’ont rien de commun avec la peur. Sans cette exigence, pourquoi, aux yeux de nos semblables notre témoignage évangélique serait crédible, pourquoi toute culture serait authentique ?

Notre  Congrès aborde aussi le thème de l’éducation dans les écoles et les universités. Il y a, dans ce domaine, un défi énorme à relever,   notamment en redécouvrant le potentiel éducatif de la liturgie, même si cela doit passer par une refonte des formes ; en redécouvrant le potentiel éducatif de la vie de la paroisse, ce qui aidera les fidèles à mieux vivre leur appartenance au corps de l’Eglise ; en vivifiant le « service du frère » sous toutes ses formes et à y faire participer activement les jeunes et surtout les adolescents car c’est dans de telles situations qu’ils apprendront le véritable sens de l’amour ; en incorporant la famille à l’effort pédagogique, car la famille, « église domestique », est un garant de transmission et de continuité.

Ceci pour mieux faire comprendre que Dieu est la liberté de l’homme, autrement dit qu’Il est ce Quelqu’un qui s’interpose à jamais entre le néant et nous. Un néant qui engendre, surtout de nos jours, tant de terreurs et qui se monnaie en une multitude de peurs. On accède à cela certes par effort personnel mais plus encore par le fait que l’activité pastorale possède les moyens de déclencher les vrais efforts de croissance spirituelle, tant individuelle que collective. A quel prix et avec quelles chances ? A nous de les inventer à travers toutes les formes de beauté, de rencontres, d’échanges et de conversations d’homme à homme et surtout sans attendre des résultats spectaculaires, immédiats et massifs. Nous ressemblons un peu à ces gens qui parlent en langues et c’est pour cela que nos Eglises ont aujourd’hui besoin d’interprètes capables de proposer une nouvelle traduction de la Parole évangélique en partant de l’homme lui-même. Après tout, il ne nous est pas demandé de faire fi de notre propre identité, pourvu que nous sachions rester le ferment humble et paisible, le lumignon sous le boisseau afin que naisse une nouvelle politique culturelle au sein de laquelle nous assumerions au mieux la part qui nous revient. Le miracle ne réside-t-il pas en fin de compte dans l’imprévisible dont Dieu permet la réalisation par l’intermédiaire des hommes ?

« L’Evangile appelle à une révolution contre le fixisme, la superficialité, l’injustice sociale, la déliquescence morale et la réaction délétère. C’est à cette condition, écrit le Métropolite Georges Khodr, que l’Eglise deviendra vraiment l’Eglise des profondeurs, l’Eglise du mouvement, l’Eglise de l’idée divine qui agit…L’Eglise, le monde a besoin de paroles fortes, libres, vraies, à la mesure de la Parole qui s’est faite chair. Il faut que, à l’instar de ce qu’a fait le Fils de l’Homme, cette parole descende dans la rue »( Georges Khodr : « L’appel de l’Esprit » – Ed. CERF – LE SEL DE LA TERRE, Paris 2001, pp. 321-322.).

Je vous remercie.

+STEPHANOS, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.

 

Rome, 30 novembre – 3 décembre 2011

MESSAGE AU NOM DE S.S. le Patriarche Oecuménique BARTHOLOMAIOS