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LA RESURRECTION DU CHRIST, NOTRE ESPERANCE !

Très chers Frères et Soeurs en Christ,

Je rends grâces à Dieu pour ces journées qu’Il nous accorde dans son immense bonté et qui, à travers les liens chaleureux que nous ne cessons de tisser entre nous années après années, nous donnent de vivre le partage de sa parole dans ce lieu exceptionnel de haute spiritualité qu’est le Monastère Saint Jean de Rila. Le seul fait de nous être retrouvés ici est déjà une grande bénédiction en soi que tous, j’en suis sûr, nous apprécions comme il convient et plus encore au-delà de toute attente.

La Résurrection du Christ, notre espérance !…L’Apôtre Paul l’a très bien compris, lui qui nous demande de devenir conformes au Christ dans la mort, dans la communion à ses souffrances, pour le connaître lui et la puissance de sa résurrection (Philippiens 3/10) afin de nous offrir à Dieu comme des vivants revenus d’entre les morts (Romains 6/13). La Résurrection concerne et saisit tous les hommes. Pourtant une lecture plus attentive de 2 Corinthiens 5/15 – il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux-mêmes – nous offre un éclairage particulier. Ce verset, ce me semble, ne signifie pas que la mort du Christ a changé comme par miracle la vie et l’état des hommes ni que les hommes sont associés de façon passive à cette mort. Autrement dit, si nous examinons plus attentivement ce passage, il apparait qu’il fait non seulement référence à la mort et à la résurrection du Christ mais aussi allusion à la mort et à la résurrection de ceux qui sont baptisés en Christ. Tous ceux qui ont cru en Christ et ont été baptisés, eux aussi ont été crucifiés avec le Christ. Depuis ce moment-là ils vivent une nouvelle réalité dans la foi au Christ Sauveur (Galates 2,20) car si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles (2 Corinthiens 5,15 ).

Le Christ a donné sa vie pour que nous devenions en lui justice de Dieu (2 Corinthiens 5,21) mais de son côté l’homme se doit de ne pas se permettre de recevoir la grâce de Dieu en vain (2 Corinthiens 6,1). Ceux qui sont à Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs (Galates 5,24).

Ainsi nous entrons avec la Résurrection dans une dimension nouvelle, révolutionnaire : le jour de Pâques n’est pas que la simple commémoration d’un évènement historique ; il dépasse le temps de l’histoire car il appartient désormais au Temps propre du Christ où tout est présent ; où passé et avenir s’y mèlent à cet instant, tant il est vrai que la Résurrection fait converger le tout en un point unique où tout est définitivement présent : désormais, le grand et saint Vendredi et Pâques ne font plus qu’un dans l’éternité de la vie divine du Christ, même si historiquement la Passion précède la Résurrection. C’est à travers la souffrance que Dieu triomphe de la souffrance ; c’est à travers la mort qu’il triomphe de la mort. La douleur du Christ n’est opposée ni à sa gloire ni à sa béatitude. Elle est la matière même dont il tire son éternel triomphe. La souffrance du Christ, souffrant toujours avec l’homme, et déjà surmontée par sa propre résurrection allège toutes nos souffrances et, même si nous ne le voyons pas, fournit une réponse à la question de notre propre mort. Sans cette certitude, à la mère qui vient de perdre son fils unique, à la jeune femme qui vient de perdre son mari, oserions-nous leur dire : « Jésus lui-même, mort et ressuscité pour toi, en cette minute souffre ce que tu souffres et la croix que tu portes est la croix de ton Sauveur ? Et puisque Jésus la porte en ce moment avec toi, sache que ce portement de la croix à deux exprime déjà un triomphe. Mais viendra le jour où tes yeux s’ouvriront et tu sauras, toi aussi ! »

Mais est-il vrai, se demande Olivier Clément de bienheureuse mémoire, que le Christ est ressuscité ou sommes-nous des menteurs qui se contentent de bien chanter? Et d’ajouter : si le Christ est vraiment ressuscité, un peu en nous, si peu que ce soit, alors soyons assurés que quelles que soient les difficultés, l’amour et l’intelligence viendront. A celui qui attend une démonstration pour qu’il se voit obligé de croire, la réponse est claire : ce genre de preuve n’existe pas.Mais tout au long de l’histoire de l’Eglise, tout au long de l’histoire des hommes tout comme aujourd’hui aussi il y a une multitude de « signes de Résurrection ».

Le Royaume de Dieu ne vient pas comme un fait observable, a dit le Christ dans Luc 17,20. Il vient dans toute sa force, dans sa lumière et dans sa victoire, chaque fois que nous le faisons sortir des enceintes que nous nous réservons égoïstement pour nous seuls à l’intérieur de nos églises ; chaque fois que nous ne l’enfermons pas dans le tombeau de nos espaces psychiques, de nos imaginations, de nos pensées et de nos émotions où nous croyons posséder sa présence. L’espace mystérieux du coeur, lorsqu’il est habité par Jésus ressuscité, ne connait plus de limite ; il porte l’univers dans la largeur et la profondeur de l’amour de son Seigneur. Souvenons-nous du merveilleux sermon pascal que nous a légué Saint Jean Chrysostome et que les chrétiens Orthodoxes lisent à la fin des matines pascales : il n’est fait aucune distinction entre les ouvriers de la première heure et ceux de la neuvième ; le Christ invite à la fête les uns et les autres ; ceux qui s’y sont préparés et ceux qui ne s’y sont pas préparés. Et il agit de même avec nous. Nous sommes loin, écrit un de nos spirituels orthodoxes du siècle passé, du moins la plupart d’entre nous, d’avoir bu au calice de la Passion. Nous n’avons pas aidé Jésus à porter sa croix. Nous ne sommes pas morts avec lui. Nous avons dormi pendant son agonie ; nous l’avons abandonné ; nous l’avons renié par nos péchés multiples. Et cependant, si peu préparés, si impurs que nous soyons, Jésus nous invite à entrer dans la joie pascale. Le Christ ici n’est plus séparé de rien, de personne. La victoire sur la mort, c’est la victoire sur la séparation. La vie du Christ devient la nôtre. Le baptême nous insère dans le dynamisme de la Résurrection. L’eucharistie constitue pour nous, disait Saint Cyrille d’Alexandrie, « le corps même de la Vie ».

C’est à juste titre que l’Apôtre Paul nous demande de devenir conformes au Christ dans la mort, dans la communion à ses souffrances, pour le connaître lui et la puissance de sa résurrection (Philippiens 3,10) afin de nous offrir à Dieu comme des vivants revenus d’entre les morts. La Résurrection est en nous, dès maintenant. Nos souffrances les plus aigües, notre agonie même, si nous les abordons avec un très humble abandon, une très humble, très enfantine confiance, vont s’identifier aux souffrances et à l’agonie du Christ et déboucher dans une vie plus forte que la mort. Il nous semblait mourir et voici que la mort n’existe plus. Nous pleurions nos morts et voici qu’ils ne sont pas morts mais, en Christ, tout proches de nous. La Résurrection fait ainsi la joie des martyrs, elle leur permet de prier pour leurs bourreaux. La Résurrection nous permet d’accueillir et d’aimer d’une manière désintéressée : je n’ai plus besoin de faire d’autrui le bouc-émissaire de mon angoisse, puisque la mort est vaincue et que l’angoisse au fond de moi devient confiance. La sainteté n’est rien d’autre que la transparence à cette immense force de vie. Dans l’Eglise ancienne on disait d’un saint qu’il est ressuscité dès ici-bas (in Métropolite Meletios de France – message pascal du 26 avril 1981).

A nos yeux la Résurrection du Christ n’est pas seulement une assurance renforcée de l’immortalité des âmes, des personnes : elle veut embrasser toute la terrre, tous les êtres, toutes les choses, tous les instants, tous les visages, tous les corps, le brin d’herbe et la nébuleuse. Tout doit trouver place dans le Corps glorieux du Ressuscité.

Arrivés à ce stade de mon propos et afin de mieux l’éclairer, il m’a semblé judicieux d’entreprendre avec vous un pèlerinage spirituel sur les traces de la Grande et Sainte Semaine, telle que la propose l’Eglise Orthodoxe à ses fidèles.

A l’office des matines des trois premiers jours il est question de l’Epoux qui arrive au milieu de la nuit ; bienheureux le serviteur qu’il trouvera vigilant ; malheureux celui qu’il trouvera indolent…Ce qu’il y a d’unique en Jésus, c’est qu’il n’est pas venu pour des individus exceptionnels mais pour des pécheurs. Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin (Jean 13,1). Non seulement Jésus a aimé les hommes, quels qu’ils soient, jusqu’au dernier moment de son existence terrestre, mais il les a aimés au maximum. Ceux qui en ce monde ont fauté, qui se sont couverts de honte, qui sont déchirés de doutes, les désespérés de toutes sortes… C’est parce que nous sommes comme eux que nous ne pouvons nous passer du Christ pour être sauvés. Comment des générations de chrétiens ont-elles pu devenir insensées au point de faire de l’Eglise une secte de justes, se demande le Moine de l’Eglise d’Orient dans l’un de ses écrits:

Voici l’Epoux ; il vient au milieu de la nuit. Dieu n’est pas loin de moi. Il est là où je suis. Il me révèle que je suis meilleur que mon péché. Il n’y a que le vrai Dieu pour comprendre ainsi l’homme. Il n’y a que le vrai Dieu pour mettre ainsi dans sa Passion un tel comble à son amour, en assumant sur la croix et notre péché et notre condamnation. Jésus appartient à la même foule humaine que nous. Il a vécu chacune de nos histoires. Il a mangé du même pain que nous. Sur la croix il a été exposé à la même mort. Il est des nôtres. Voilà pourquoi il peut non seulement ôter le péché du monde mais aussi le prendre sur ses propres épaules. L’emporter et le porter.

L’Epoux vient donc au milieu de la nuit. Nous voici en quelque sorte mis de manière abrupte en demeure de révéler les plaies de notre vie ; aucun détour n’est ici possible : la libération vraie est liée à la conversion. Le Christ vient ainsi nous interroger sur nos blessures secrètes les plus intimes ; il vient mettre le doigt sur les plaies de notre âme. Il vient non seulement dévoiler notre péché en pleine lumière mais aussi nous parler de repentance et de pardon. Rien ne l’arrête, ni les prostituées, ni les superbes, ni les brutes. Il les appelle. Il rejoint chacun là où il est le plus seul, dans le plus profond de son péché. Et si quelqu’un d’autre vient à protester, il lui réplique : Pourquoi ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon ?

Inutile donc de chercher au loin. Dieu n’est pas ici ou là. Il est en nous. C’est le Dieu de notre existence quotidienne. Il nous accompagne du dedans dans notre maison, dans tous nos travaux. Il partage nos tracas, se mêle de nos affaires, porte nos épreuves. Il vit avec nous nos journées et dort notre nuit. Il entend nos conversations mais aussi notre silence. Il n’est pas comme notre main gauche qui ignore ce que fait notre main droite. Quand nous avons tiré sur notre porte, il peuple notre solitude. Il est celui qui prend en charge notre secret. Avec lui il n’y a pas de secret. L’Epoux Jésus est bien le plus court chemin pour aller jusqu’au bout du coeur de l’homme.

Le tout de ces trois premiers jours de la Grande et Sainte Semaine culmine dans le tropaire dit de Cassienne, du nom de la moniale qui l’a composé, que l’on chante au doxastikon des apostiches des matines du mercredi saint. C’est le long cri d’une femme tombée dans une multitude de péchés.

Tenue par l’amour du péché, sans clarté, offrant le flot de ses pleurs et l’effusion de ses larmes, cette grande pécheresse décide, malgré son désespoir, de faire appel à la présence et à la pitié insondables du Seigneur. Dans l’acte même de ses fautes et sans même qu’elle n’ait le courage de l’interrompre, elle sait qu’un cri peut encore jaillir d’elle ; un cri de dégoût, d’angoisse, d’horreur même. Hélas, se lamente-t-elle, la nuit me tient et l’aiguillon du plaisir… laisse-moi baiser tes pieds immaculés,… ces pieds dont Eve au Paradis perçut le bruit et frémissante à leur approche se cacha. Seigneur, qui scrutera la multitude de mes péchés ? Qui sondera l’abîme de tes jugements, Dieu rédempteur et Sauveur de nos âmes ?

Ici, point de parole de grâce sans une parole de jugement. Le passé ou le présent de l’homme, si coupables soient-ils, reposent sur l’ordre de la grâce, dans la mesure où tout destin humain se rattache au plan de grâce voulu par Dieu. Je veux dire par là qu’un grand échange a été opéré au Golgotha entre le pécheur et son Dieu. C’est l’homme qui pèche et c’est Jésus qui meurt. C’est l’homme qui pèche et c’est le Dieu-Homme lui-même qui devient le rejeté, le condamné. Le Golgotha : non une exigence de justice mais une exigence d’amour, d’amour maximal. Au pied de la croix nous découvrons que c’est le flot de boue, de mort et de désespoir du monde entier, du début à la fin de l’histoire, qui déferle sur le Christ crucifié. Il porte tout péché, toute mort, toute souffrance qui atteint chaque être venu au monde. La Croix est le jugement du jugement, la condamnation de la condamnation, disait saint Maxime le Confesseur (PG 90, 408D). Dans la liturgie syriaque, rapporte Olivier Clément on entend saint Pierre qui empêche le larron d’entrer au paradis : Vraiment, tu as trop fait, la porte restera close. Mais l’autre, saisissant la croix qu’il porte sur sa poitrine, écarte Pierre en disant : Voici la clé. C’est elle qui me permet d’entrer. (in « Christ est ressuscité », DDB 2000, p.43), Le Christ assurément lui ouvre le paradis, étant lui-même le paradis, c’est-à-dire la présence de Dieu. En métamorphosant la croix, il plante ainsi le nouvel Arbre de Vie au coeur même de la terre sanglante (Olivier Clément, ibid.p.42). Il y a là, pour notre piété, encore beaucoup à exploiter dans ce mystère.

Plutôt que de nous obstiner à raisonner sur ce thème, plutôt que de chercher à l’expliquer par autant de mots qui ne seront que de bien tristes balbutiements, contentons-nous en toute humilité de cette parole de saint Augustin : Donne-moi quelqu’un qui aime et il sentira ce que je dis…

L’office de la lecture des 12 évangiles lors des matines du grand et saint Vendredi traite bien évidemment de la permanence et de l’actualité de la Passion du Sauveur. Les saints ont toujours senti que la Passion de Jésus n’était pas qu’un simple évènement du passé. Ils s’en font en quelque sorte les contemporains. Toutefois, la souffrance comme la résurrection de Jésus, avons-nous déjà dit, est un mystère qui ne se démontre pas, dont on ne peut parler que par analogie et approximation. En toute vérité, Jésus sur la croix, c’est vous et moi, transfigurés « à sa ressemblance ». Non pas pour anesthésier la souffrance mais pour lui faire porter, de la manière la plus poignante, son fruit de vie, son fruit d’amour.

Cela parait fou à l’homme d’aujourd’hui qui pense parvenir à éliminer la mort par la survie biologique. Mais pour quelle vie ? La sagesse de la Croix est la source de la vie divine en nous, à chaque instant, si nous consentons à contempler Celui que nous avons transpercé ; si nous nous contentons de nous laisser attirer par Lui et de tenir ferme puisque c’est Lui qui combat pour nous.

Etiez-vous là, quand on a crucifié mon Seigneur ?, s’exclame de façon actuelle et poignante une phrase tirée d’un chant du répertoire du negrospiritual. Là, au Golgotha, où Jésus est cloué à notre souffrance, à celle des autres, au centre même de notre péché ? Là, au Golgotha, où aujourd’hui encore on torture, on crucifie Jésus partout dans le monde et à toute heure ? D’où la nécessité de l’Incarnation et la nécessité de cette mort divine. Dans le Christ, l’homme restaure l’obéissance et l’amour du fait que la mort du Christ est la preuve suprême de son amour pour la volonté du Père, de son obéissance au Père. ; par le Christ, l’homme peut vaincre le péché et le mal. Il était essentiel que la mort fût non seulement détruite par Dieu, mais vaincue et terrassée dans la nature humaine elle-même, par l’homme et dans l’homme. Car, puisque la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme que vient la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ…(1 Corinthiens 15,21-22).

Dans le tombeau la ténèbre semble se refermer sur le Crucifié. Un instant les forces du mal semblent triompher. Mais au même moment apparait le vrai sens de sa mort. « Celui qui meurt sur la croix, le Christ, possède la vie en lui-même, c’est-à-dire qu’il a la vie non comme un don reçu de l’extérieur – quelque chose qu’on pourrait lui enlever – mais qu’elle est sa propre essence. Il est la vie et la source de toute vie. Comme homme il peut réellement mourir ; mais en lui c’est Dieu qui entre dans le royaume de la mort, qui goûte à la mort. L’homme qui meurt est Dieu ou, plus exactement, l’Homme-Dieu… C’est seulement dans l’unité, sans confusion, sans changement, sans division ni séparation de Dieu et de l’homme dans le Christ que la mort humaine peut être assumée par Dieu et être vaincue et détruite du dedans, écrasée par la mort (in « Le Mystère pascal », Spiritualité Orientale n° 16, Edition Abbaye de Bellefontaine, 1975 – pp.47-48) ». Le but final de l’Incarnation, c’est la destruction de la mort. La rencontre avec la mort est l’heure du Christ, cette heure pour laquelle il est venu (Jn 12,27). Dans le tombeau il n’attend pas passivement. Les Pères voient ce moment comme un duel entre le Christ et la mort, entre le Christ et Satan, car cette mort devait être ou bien le dernier triomphe de Satan ou sa défaite décisive. Tel est le sens de la descente de Jésus dans l’Hadès, de sa mort devenant sa victoire.

Le tombeau fut ta demeure : dans la mort comment descend notre Vie ? pour détruire à tout jamais l’empire de la mort et sauver de l’Enfer les morts en les ressuscitant. ( Eloges funèbres du grand Vendredi t, 1ère Stance). Le tombeau donc, cette terre de repos qui n’est rien d’autre que notre propre abîme – brisure géante où s’engouffre la mort – et qui s’appelle notre péché. C’est là que le Christ a demandé à être déposé, enseveli avec nous, pour y porter le fruit de sa résurrection.

Que la création soit dans l’allégresse ! Que tous les habitants de la terre se réjouissent, car l’enfer ennemi est dépouillé. (canon du grand Samedi).

Ainsi le tombeau, cet abîme un instant ouvert, s’emplit du Souffle de la Résurrection. Comme l’a écrit Hans Urs von Balthazar : C’est l’Enfer lui-même qui devient Eglise (in « Christ est ressuscité », loc.cit.p.43). Eglise en effet parce que c’est dans l’Eglise que l’humanité du Christ, laquelle est une humanité à la fois crucifiée et glorifiée et qui est aussi la nôtre, devient pour nous source de Vie. Pour cette raison, nous dit l’hymnographe, l’Enfer est rempli d’amertume : Lorsque tu fus déposé dans un tombeau tout neuf, Sauveur de l’univers, l’Enfer fut saisi d’effroi, les verrous furent brisés, les portes arrachées ; alors s’ouvrirent les tombeaux et se levèrent les morts, Adam plein de reconnaissance, te criait de joie : Gloire à ta condescendance, Seigneur, Ami des hommes, gloire à toi ! (apostiches des vêpres du saint et grand Vendredi). La mort du Christ est une mort salvifique parce qu’elle détruit la source même de la mort : le mal ; parce qu’elle manifeste la défaite décisive et totale du mal.

« Certes, la mort règne toujours et tout nous rappelle sa présence : la séparation, la tristesse, la disparition de ceux que nous aimons, les tragédies si souvent atroces de l’histoire, la haine de soi, des autres. Mais toutes ces situations, si nous les traversons dans la confiance au Ressuscité, si nous acceptons de nous recevoir de lui, peuvent devenir des chemins de Résurrection (Olivier Clément, ibid.pp.48-49) », puisque Jésus est descendu jusque dans les entrailles de l’Enfer pour partager l’état d’enfouissement dans la mort non seulement de tous ceux qui avaient vécu avant et après lui, mais aussi il est descendu pour chacun d’entre nous qui, en ce moment, sommes encore entre la vie et la mort. Venez à moi vous tous qui êtes chargés et fatigués; et je vous donnerai du repos (Mt 11,28) : au fond de nous, l’angoisse devient confiance et là où l’on croyait qu’il n’y avait plus d’issue, il est là, lui, notre lieu, notre Ami et sa présence est une ouverture de lumière.

Hier, avec toi, ô Christ, j’étais enseveli; avec toi je me réveille aujourd’hui, prenant part à ta Résurrection après les souffrances de ta crucifixion…(matines pascales, Ode 3). Dans la lumière de Pâques Dieu nous redonne la vie, Dieu nous pardonne ; tous et tout sont désormais vivants à jamais puisque le Christ est ressuscité et que la mort spirituelle, définitivement vaincue, n’est plus que le „voile déchiré de l’amour“. Dans la lumière de Pâques Christ est là chaque fois qu’une personne humaine est ravagée par la douleur et brisée par toute injustice, par chaque indifférence. Voici, dit le Seigneur, j’ouvrirai vos sépulcres, je vous ferai sortir pour vous ramener sur la terrre d’Israël ; et vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque j’ouvrirai vos tombes pour en faire sortir mon peuple (Ezéchiel 37,12-13). La résurrection commence dès maintenant, le Ressuscité saisit chaque homme et chaque femme ; tous les hommes et toutes les femmes et les recrée dans sa fulgurence.

Venez prendre la lumière à la Lumière sans déclin et glorifiez le Christ ressuscité d’entre les morts (début des matines pascales). La Lumière luit dans les ténèbres et cette fois les ténèbres par elle sont consumées. Désormais la terre est ensemencée d’un feu nouveau, du feu de l’Esprit. Christ est ressuscité des morts ; Christ ressuscite les morts. Le Christ ressuscité vient habiter l’espace le plus mystérieux de notre coeur afin que ce dernier puisse porter l’univers tout entier dans la largeur et la profondeur de l’amour infini de Dieu tant il est vrai qu’il n’y a pas de plus grand amour de la vie humaine et du corps humain que la proclamation de la résurrection du Christ.

La résurrection du Christ, notre espérance ?…Sans aucun doute, puisque la résurrection du Christ, pour nous les chrétiens, n’est pas un lot de consolation pour plus tard mais bien notre vocation d’aujourd’hui.

+STEPHANOS, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

 

Saint Jean de Rila, le 17 juillet 2010.
E.I.I.R – XXXIIIe Rencontre Internationale – Saint Jean de Rila – Bulgarie – 13/19 juillet 2010