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EN TEMPS ET HORS DE TEMPS

EN TEMPS ET HORS DE TEMPS :
Constantinople, Nouvelle Rome et Patriarcat Œcuménique

« Il y a, écrit Olivier Clément dans son livre « Dialogues avec le Patriarche Athénagoras » (p.527), un mystère de Constantinople. Constantin a voulu fonder non pas une autre Rome mais l’autre Rome … Il voulut une nouvelle Rome qui fût le réceptacle du christianisme et mît au service de celui-ci l’humanisme gréco-latin … Afin que, plus proche des sources grecques, elle fût, mieux que la première, la synthèse de l’Occident ». Et pour cette raison, elle a été une féconde mère d’ Eglises.

Et son autorité a été fondée et confirmée par celle des canons des Conciles Œcuméniques ( 3e canon du 2nd concile œcuménique, 28e canon du 4ème concile œcuménique, 36e canon du Concile in Trullo ).

« Et d’une manière générale c’est elle qui exprime, et c’est dans la communion avec elle que se manifeste l’unité des Eglises locales dans le corps de l’Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique et apostolique dont la tête n’est autre que Jésus-Christ, son unique chef en qui se consomme la foi… ( Encyclique du Patriarche Athénagoras, dimanche de l’Orthodoxie en 1950) ».

Et cette Nouvelle Rome a été au premier rang des combats contre les grandes hérésies. Et elle a maintenu et a préservé de tous temps la vraie Foi et elle est jusqu’à nos jours, au sein du monde de l’Orthodoxie, la gardienne de la Vérité et de l’ordre ( τάξις ) ecclésiastique.

Une nouvelle Rome et non pas une deuxième Rome ! Le temps de l’Eglise du Christ n’est pas à l’image de celui du temps de ce monde, où chaque siècle qui passe est frappé de relativité et de temporalité parce que défiguré par la dure réalité de la chute et du péché des hommes.

Des propos tels que, par exemple, ceux de l’avènement possible d’une troisième Rome, – qui dans cette logique pourrait être relayée par une quatrième ou une cinquième Rome, etc… – sont des propos uniquement destinés à satisfaire des ambitions qui n’ont rien de l’Eglise du Christ ; ils sont totalement étrangers à la révélation chrétienne, laquelle par essence est la révélation de la fin de ce monde et de la venue du Royaume de Dieu.

C’est parce que l’Ancienne Rome, malgré le sang abondamment répandu de ses martyrs et sa contribution remarquable pour la consolidation et le maintien du Christianisme, s’est un jour retrouvée de par son propre fait hors de l’espace de la Confession de Foi des Orthodoxes, que le Seigneur a permis que soit pour eux la Nouvelle Rome.

Cela dit bien ce que cela veut dire.

Ni l’argument de la modernité, ni celui du plus grand nombre, ni celui de l’héritage culturel, ni celui de l’ethnophylétisme, ni aucun autre d’ailleurs, généré par les tentations que suscite ce monde, ne peuvent entrer en ligne de compte dans la vie de l’Eglise et les affaires ecclésiastiques.

Parce que l’Eglise est le Corps du Christ, parce que Jésus-Christ est le même, hier et aujourd’hui et pour tous les siècles (Hébreux 13/8), parce qu’à l’intérieur de ce Corps c’est le même Dieu qui fait tout en tous et le même et unique Esprit qui répartit les dons propres à chacun (1 Cor.12/ 4, 11), rien ne sépare ni distingue l’Eglise des premiers siècles de celle de nos temps présents : Christ, qui en est la tête, est toujours le même, ainsi que vient de nous le rappeler sans équivoque aucune l’Apôtre Paul.

Aussi les saints canons, qui fixent et définissent le rôle et la place de Constantinople au sein de l’Orthodoxie, sont précisément là non pas pour être modifiés au gré des époques ou des opportunités du moment mais pour refléter la continuité de la Tradition ecclésiale ininterrompue selon le modèle même du mystère trinitaire et afin que s’accomplisse, dans l’unique Vérité, la plénitude de notre vie en Christ.

Pour cette raison, à moins que l’Eglise de Constantinople vienne à ne plus dispenser fidèlement cette parole de Vérité, aucun argument ne permet à une autre Eglise orthodoxe locale de revendiquer sa place primatiale et de faire fi des devoirs, des droits et des honneurs qui lui sont dévolus. Chaque fois qu’il en va autrement, le Patriarche de Constantinople se doit de préserver son rang et son rôle au sein de l’Orthodoxie, qu’il préside dans la communion en sa qualité de Patriarche Œcuménique.

J’ajoute encore que la tradition canonique n’offre pas d’autre alternative que celle de la rigueur ( acribie ) en matière d’ecclésiologie, même si de nos jours elle est sans cesse bafouée et il incombe au Patriarche de Constantinople, en sa qualité de gardien de cette acribie, de la protéger et de veiller à sa juste application.

« Le Patriarche Œcuménique est le premier parmi les égaux uniquement de tout l’Episcopat qui relève de l’Eglise Orthodoxe ; il ne jouit pas d’un pouvoir administratif comme c’est le cas du Chef de l’Eglise d’Occident. Son action consiste avant tout à coordonner et à manifester l’unité des Eglises orthodoxes locales ; il lui revient aussi certains privilèges spirituels ou de suppléance chaque fois que les autres Eglises locales orthodoxes n’ont pas la capacité de choisir ou de mettre en place leur propres organes ecclésiastiques pour cause de persécutions, de manque de personnes adéquates ou encore pour d’autres raisons » ( Patriarche Bartholomée in revue PLEROPHORIA, Athènes – Mai/Août 1999 ).

Deux exemples récents et concrets illustrent bien ce dernier commentaire : l’Albanie et, n’en déplaise à certains, l’ Estonie.

Maintenant que les prestigieuses reliques de nos Saints Pères Jean Chrysostome et Grégoire le Théologien reposent de nouveau dans le lieu même qui fut leur siège patriarcal, il est bon de nous souvenir que seul le Christ est parfait et que la seule Vérité pour l’Eglise c’est le Christ. Toutes les tensions et tous les affrontements qui naissent au sein de l’Eglise ne relèvent pas de sa nature ; ils expriment ni plus ni moins les faiblesses des hommes. Même nos saints les plus grands ont commis des erreurs. Non pas parce qu’ils sont saints mais parce qu’ils sont des êtres humains. L’acte de sanctifier ne leur appartient pas ; il leur est donné par la grâce porteuse de Vie et agissante de Dieu malgré les fautes et les égarements de toutes sortes. Il en est de même pour la vie de l’Eglise sur cette terre.

Il y a, écrit Olivier Clément, un mystère de Constantinople. Pour ce qui me concerne, je l’accueille avec respect et confiance, en faisant miennes à son sujet ces paroles de l’ange de l’Apocalypse : je connais tes œuvres, ta charité, ta foi, tes services et ta persévérance (Apoc. 2/19).

 

+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.