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Famille et société

Il semblerait qu’aujourd’hui le mariage et la filiation ont changé de sens. La procréation n’est plus l’unique sens du mariage. La question par exemple  du mariage gay, qui aujourd’hui interpelle tout le monde – même s’il s’avère qu’ici en Estonie le législateur ne  la met pas encore à l’ordre du jour publiquement – bouleversera de manière irréversible la norme en vigueur en établissant  une nouvelle norme en matière de famille et de filiation.

Quoiqu’il en soit, la famille est de nos jours fragilisée par une triple crise : une crise économique (pauvreté, chômage, incertitude devant l’avenir, immigration…), une crise morale (libération des mœurs, avortement, divorce, abandon des enfants, violence conjugale, viol des mineurs…) et une crise spirituelle (sectarisme, fanatisme, prosélytisme religieux…) Le tout dans un contexte de plus en plus sécularisé, indifférent à toute forme de spiritualité et à toute préoccupation prioritaire d’éduquer les enfants selon les enseignements de l’Evangile.

Avant d’aller plus loin il me paraît important de préciser ce qui suit.

L’Eglise Orthodoxe accueille toute personne, indistinctement de ses tendances et de ses problèmes personnels, spirituels, psychiques ou physiologiques. L’Eglise n’est pas là pour condamner mais pour guérir celui qui s’adresse à elle et qui veut se libérer de ses peurs et de ses passions, autrement dit de ses dépendances de l’âme et du corps qui l’empêchent  de s’unir à Dieu. Ce que prône l’Eglise Orthodoxe à ses fidèles, ce ne sont ni le rejet ni l’excommunication mais l’ascèse librement consentie afin de purifier le cœur de toutes ses passions. « Tout m’est permis, dit Saint Paul, mais je ne me laisserai pas asservir par quoi que ce soit » (1 Cor.6,12). Chacun peut faire ce qu’il veut mais tout ne conduit pas à Dieu. Ce que l’Eglise Orthodoxe condamne, ce qu’elle rejette, c’est le péché, le mal ; en aucun cas le pécheur.

Et  encore : si je parle avec quelqu’un qui n’adhère ni à la Bible ni ma foi chrétienne,  je ne vois aucune raison de lui faire référence à Dieu, au péché et au salut. Il lui appartient, à lui seul, de fixer la ligne rouge  par où passe la frontière entre le « bien » et le « mal » selon les critères qui lui sont propres . Ce sera son choix et je le respecte pleinement.

Venons-en maintenant au front de taille de mon propos, là où la roche est la plus dure.

A l’origine, le mariage est une donnée naturelle.  Pour faire naître la vie un homme et une femme s’unissent et procréent un enfant. En établissant le mariage comme institution, la société a donné un cadre juridique à cette donnée naturelle afin de la protéger. Si le législateur décide de faire du mariage une affaire essentiellement de droit et de sentiment (le mariage- sentiment ayant tendance de nos jours de l’emporter sur le mariage-procréation) en dehors de toute donnée naturelle, il introduira dans la cité la ruine possible de toute identité propre à la la famille ainsi que du devenir symbolique de l’être humain. Restons un tant soit peu réaliste et ne nous laissons pas égarer par une sentimentalité privée de bon sens : au nom de l’égalité et du refus d’établir des discriminations, on cherche déjà à se faire à l’idée d’une équivalence entre tous les couples, hétérosexuels et homosexuels. Mais objectivement parlant, un homme et une femme n’étant pas la même chose que deux hommes ou deux femmes, peut-on mettre sur le même plan hétérosexualité et homosexualité ? Si demain, au nom de l’égalité, tout est mis sur le même plan, un processus dangereux va s’engager à savoir celui de la disparition à plus ou moins long terme de la différence sexuée. Pour que des groupes minoritaires puissent exercer leur droit à l’égalité, l’humanité va être interdite de faire la différence entre homme et femme.

Pour le moment encore nous vivons dans un monde marqué par la différence, qui est le propre du vivant. Nous risquons de voir surgir une nouvelle humanité, fondée sur l’indifférenciation. Mais l’indifférencié  est le contraire de la différence, parce qu’il ne présente pas de caractéristiques suffisantes pour se différencier. Pour cette raison, l’indifférencié est un principe de mort. On peut dont légitimement se poser cette question : va-t-il désormais servir de principe  pour guider l’humanité ?

Jusqu’à présent, la rationalité de la société repose sur la notion de limite et avec elle sur l’idée que tout n’est pas possible. Tout ne se décrète pas. Tout ne se fabrique pas. Limite positive autant que protectrice, l’idée que tout ne se décrète pas nous préserve du risque de la dictature du Droit et l’idée que tout ne se fabrique pas nous préserve du risque de la dictature de la Science. L’essence même du nihilisme repose sur le « Tout est possible » Pour peu que le législateur passe à côté des vrais questions de société, pour peu qu’il  chercher à bricoler une famille grâce à un montage juridico-médical et appeler cela « famille », le « Tout est possible » va devenir une réalité et, avec lui, le nihilisme sous la forme du triompha sans partage de la Science, du Droit et de l’Homme.

Les Eglises-Membres de l’EKN ont rappelé avec déférence aux membres de notre Parlement que la Loi actuelle se suffisait à elle-même et qu’en l’état il n’y avait pas matière à la modifier de manière déraisonnable. Pour autant, seront-ils entendus ? Au rythme où vont les choses,. l’Homme va obéir à l’Homme sans que l’Homme n’obéisse plus à quoi que ce soit.

Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas perdre de vue qu’il n’y a pas un droit à l’enfant mais un droit de l’enfant . Il y a trop de choses dangereuses et graves , notamment en matière d’adoption, qui risqueraient de condamner les enfants  des couples séparés ou homosexuels à ne pas être des enfants comme les autres. A cela s ‘ajoute aussi le fait que la propension naturelle des enfants est de se culpabiliser quand l’équilibre familial n’est plus respecté.

Qu’on le veuille ou non, Il existe des données naturelles de la famille. N’y touchons pas. Ne touchons pas à cette loi d’équilibre dynamique fondamentale de l’univers qui se fonde sur la complémentarité entre le féminin et le masculin. C’est bien pour  cette raison qu’on ne peut en aucun cas remplacer la famille naturelle par des substituts. Leur seul mérite sera d’engendrer de la confusion et avec elle la confusion des esprits et des comportements, ce dont notre société souffre déjà. Est-il besoin d’en rajouter ?

 

+Stephanos, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

Article publié dans la presse estonienne