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LA FORCE DE SON NOM, LA PRIERE DU CŒUR !

Chers Amis,

Je vous remercie pour votre invitation à ces journées, lesquelles comme toujours sont placées sous le signe de la fraternité et de l’amitié et aussi de m’avoir confié cette intervention. Je ne vous cache pas que j’ai eu beaucoup de peine à l’écrire. Finalement, dans mon souci de l’aborder sous l’angle œcuménique et selon l’esprit qui anime nos échanges, j’ai choisi de vous proposer cette méditation, tout en sollicitant votre bienveillante compréhension.

Avoir pour Dieu un cœur de fils, pour le prochain un cœur de mère et pour soi-même un cœur de juge nous rappelle que tant que l’homme vit, il doit se battre sans trêve ni répit d’abord pour se vaincre soi-même. Le premier et le plus grand ennemi de l’homme, c’est l’homme lui-même, perfide à l’égard de lui-même. Et cela parce qu’il n’écoute pas l’autre ; il écoute ce que lui dit sa propre pensée. Tant que l’homme prêtera le flanc aux simagrées de son ego, il ne pourra pas entrer dans « ce monde de la Grâce », dont parle Saint Paul. Au contraire, le premier effet de la perception de la Grâce agissante est d’éloigner l’attraction que l’ego effectue sur l’esprit humain. Sous l’effet de la Grâce, le quotidien est d’une facilité saisissante, tandis que tous nos meilleurs efforts restent lourds et pesants tant qu’ils sont accomplis selon la volonté sourde de l’ego. Le moyen le plus sûr de s’en libérer, c’est précisément la Prière de Jésus, contenue dans cette simple phrase : « Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, aie pitié de moi, le pécheur ! »

Par cette invocation, c’est Jésus Lui-même que l’on intériorise en soi, puisqu’en fait il émigre dans notre cœur. La « prière de Jésus » ou prière du cœur est à la fois un appel au secours et une invocation du Nom de Jésus. Selon Syméon de Thessalonique, « elle est une source de réflexions spirituelles et de pensées divines. C’est la rémission des péchés, la guérison de l’âme et du corps, le rayonnement de l’illumination divine ; c’est une fontaine de divine miséricorde qui répand sur les humbles la révélation et l’initiation aux mystères de Dieu. C’est notre seul salut, car elle contient en elle le nom sauveur de notre Dieu, le seul nom auquel nous puissions faire appel, le Nom de Jésus-Christ, le Fils de Dieu ; car, selon il n’est pas d’autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes), par lequel nous puissions être sauvés ( Actes 4/12 )». ( Higoumène Chariton « L’Art de la Prière », Spiritualité Orientale n°18, Ed. de Bellefontaine / Bégrolles – France – 1976, p.118 ). La « prière de Jésus », en fait celle du publicain de l’Evangile, résume tout le message biblique réduit à son essentielle simplicité : confession de la Seigneurie de Jésus et de sa divine filiation. Le commencement et la fin sont ramassés ici dans une seule parole chargée de la présence-sacrement du Nom du Christ.

« Le huitième jour, nous dit l’Evangéliste Luc ( 2,21 ), auquel l’enfant devait être circoncis, étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus, nom qu’avait indiqué l’ange avant qu’il fut conçu dans le sein de sa mère ». Le Fils de Dieu incarné ne pouvait pas avoir d’autre nom car si Celui qui était né du sein de la Vierge n’avait pas reçu le nom de Jésus, toute la création se serait révoltée du fait que ce nom Lui avait été réservé depuis les siècles des siècles. Et si, après la chute originelle, le soleil ne cessa jamais de luire et la terre de se mouvoir et les étoiles de conserver leur place dans le ciel, c’est à cause de ce nom qui contenait le tout, le Nom de Jésus.

Bien plus, le Nom de Jésus était profondément gravé dans le plus profond des hommes. Ils n’en connaissaient pas la cause quand bien même le nom de Jésus exprimait leur être, leurs attentes, leur bonheur. Rien n’est plus précieux pour la période de pré-chrétienté que le Nom de Jésus car c’est dans ce Nom qu’elle se trouve entièrement ramassée.

Mettre en avant la force du Nom du Christ, c’est ne pas perdre de vue qu’il est « destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs » (Luc 2,34 ). C’est le Nom que tant et tant aiment et que tant et tant combattent. C’est le Nom que les uns louent et que les autres décrient et contre lequel ils blasphèment. C’est le Nom autour duquel se livrent les combats les plus durs et se remportent les victoires les plus difficiles. Jésus est le Nom de Celui qui scellera le terme de l’Histoire de l’Humanité. Au jour glorieux du Second Avènement sera donné « le nom nouveau, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui le reçoit » (Apoc.2,17 ). Notre foi nous l’a déjà certifié : ce nom nouveau n’a d’autre nom que le Nom Jésus !

Aussi le Nom de Jésus porte en soi une authentique dimension sacramentelle, mystique. Il apparaît comme incrusté dans le plus profond de chaque chose, de chaque être humain. La victoire du Christ sur la mort a pour conséquence que tout est désormais marqué du sceau du Nom de Jésus. La vie sacramentelle et cultuelle de l’Eglise a pour fonction, est-il besoin de le souligner ici, de renouveler sur tout ce qui est, animé et inanimé, le sceau indélébile du Nom de Jésus ( Evêque d’Ahailoou Efthymios : « EKEINOS » , Athènes 1973, pp.27-29, en grec et Archim.Sophrony : »De la Prière », Ed. du Monastère de St Jean le Précurseur, Essex / Angleterre, 1993,pp.139-140, en grec ).

Ainsi, être chrétien, c’est d’abord adhérer personnellement au Dieu vivant, pleinement révélé par Jésus, son Fils, son Christ, c’est-à-dire son Messie. Cela veut dire qu’on ne peut pas transformer la vie spirituelle en une simple éthique sociale ni réduire le vécu chrétien à la seule philanthropie ou aux valeurs qui viseraient uniquement à faciliter le bon fonctionnement de la société. Notre vocation première, c’est de « nous consacrer nous-mêmes, les uns les autres, et toute notre vie au Christ, notre Dieu ». Etre chrétien, c’est se souvenir sans cesse qu’il nous faut être uni au Seigneur Dieu de tout son être ; qu’il nous faut Lui demander, ainsi que nous le faisons chaque fois que nous invoquons l’Esprit Saint, qu’il vienne demeurer dans notre intellect et dans notre cœur.

Etre un disciple du Christ, c’est être un homme ou une femme libre que les menaces n’effraient pas, que l’argent n’achète pas, que les habitudes et les passions n’enchaînent pas. Une personne dont la conduite n’est pas dictée par une morale de groupe ou un conformisme social, mais par la Parole de Dieu librement accueillie et acceptée. De sorte que cette même Parole devienne notre propre langage, qu’Elle structure nos propres pensées, qu’Elle forme et reforme le cœur trop endurci de l’homme. Cela s’obtient, sous la conduite du Saint Esprit, par la lecture de la Bible. Les Saintes Ecritures en effet nous permettent d’entrer dans une communion profonde, intime avec Dieu – Père, Fils et Esprit Saint . Par Elles, le cœur et l’esprit de l’homme s’ouvrent devant le grand mystère de l’amour divin ; mystère du Dieu Père qui désire et qui cherche inlassablement à entrer en communion intime et profonde avec chaque être humain, objet de son amour ineffable et sans limites.

Cela va bien au-delà d’une simple expérience immédiate, émotionnelle de la foi, promettant la délivrance, la santé et la prospérité à travers le don et l’ascèse. Au jour du Jugement dernier, Jésus nous demandera quel Dieu nous avons adoré : l’idole de l’ambition et de la réussite ou bien le Dieu Père, le Dieu de compassion, plein de tendresse envers tous ceux qui cherchent avant tout les vertus des Béatitudes, la pureté du cœur, la paix pour le monde ? L’important donc ici est de savoir distinguer entre les critères du bien et du mal ; entre le permanent et l’éphémère, entre l’existence vraie et l’organisation de l’existence.

Aspirer à un tel état, c’est déjà commencer à le vivre. Au départ il y a la foi. La foi engendre l’amour. Ce dernier suscite les bonnes œuvres qui, à leur tour, nous donnent d’accéder à la vision de Dieu. « Cette vision se fait au niveau du cœur. C’est pourquoi il a été dit que les cœurs purs verront Dieu. Cela ne se passera pas dans le siècle à venir, dans le Royaume, mais déjà dans le temps présent. Si l’amour de Dieu fait sa demeure en toi, si tu es conscient que tu es aimé de Lui, tu te libères de tout ( 1 Cor.7, 29-31)». (métropolite Georges Khodr du Mont-Liban in SOP 243, Paris 1999, pp.33-34 ).Se comporter de la sorte ce n’est pas quitter ce monde mais un chrétien ne doit jamais perdre de vue qu’il vit aussi dès maintenant dans le Royaume qui régit son cœur. Il ne vit plus selon la figure de ce monde puisqu’il assume celle du Christ.

La pratique de la prière de Jésus, fait que, pour chacun d’entre nous, le Nom de Jésus est Lui-même un instrument d’ascèse, un filtre au travers duquel ne doivent passer que les pensées, les actes, les paroles compatibles avec la vivante réalité qu’Il symbolise. Tant il est vrai « que la force de cette prière ne réside pas dans son contenu qui est très simple et très clair mais dans le Nom très doux de Jésus…Non seulement Dieu est invoqué par ce Nom mais Il est déjà présent dans cette invocation. On peut l’affirmer certainement de tout nom de Dieu mais il faut le dire surtout du Nom divin et humain de Jésus qui est le nom propre de Dieu et de l’Homme. Bref, le Nom de Jésus, présent dans le cœur humain lui communique la force de la déification que le rédempteur nous a accordée. » ( Emile Simonod : « La Prière de Jésus selon l’évêque Ignace Briantchaninoff » – Ed. Présence « Aubard » / Sisteron-France, 1976,p.30 ). D’où la nécessité impérative, pour toute l’Eglise, de célébrer l’Eucharistie, de célébrer Pâques aussi en dehors du Temple, dans toutes les œuvres journalières, techniques et scientifiques. Cette célébration de la liturgie ne peut avoir de véritable sens que si elle embrasse « au Nom de Jésus » toute la vie humaine, intérieure et extérieure, pour la transformer en œuvre de résurrection.

Toutefois, gardons-nous de conférer à ce Nom une sorte de vertu magique et faisons nôtre cette attitude de Saint Silouane du Mont Athos qui portait dans son cœur le Nom très doux du Christ, car la prière agissait continuellement en lui tout en se tenant cependant à l’écart de toute discussion au sujet de la nature du Nom…( in « Silouane, Moine du Mont Athos », Ed. Présence, Paris 1973 ).

On nous rétorquera sans doute : « vous oubliez que nous vivons dans un monde méchant, mensonger, vil, retors, lubrique et versatile ». Nous savons tout cela mais nous voulons quant à nous voir éclore un monde nouveau, que les hommes deviennent des créatures nouvelles. Le monde dans lequel nous vivons a sa logique et nous qui tendons vers le Royaume avons notre logique et nous savons bien que nous serons persécutés et que nous vivrons de nombreuses tribulations à cause de cela. Saint Paul, dans sa lettre aux Romains ( 5, 3-5 ) ne cesse de nous rappeler que « les tribulations produisent la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance. Et l’espérance ne déçoit point ».

Pour dire les choses simplement : il n’y a pas de vie sans effort. Tout effort étant une crucifixion, ceux qui acceptent de monter sur la croix ont choisi leur lot – celui de la Résurrection, dès ici-bas. Il n’y a donc pas de vie sans effort, et c’est pourquoi tous les maux et toutes les divisions viennent en premier lieu du cœur chaque fois qu’il perd lui-même sa paix et son unité intérieures (Mt 12/34).

La logique divine, elle aussi, est simple. Elle nous demande de témoigner. Or le témoignage consiste à voir Dieu ici et maintenant et d’en être les témoins. Maintiens ton regard rivé à tout instant sur Dieu et tu Le trouveras toujours à ta droite et Il ne permettra pas que tu vacilles ( Actes 2, 25 ) et le monde ne t’ éblouira pas pour mieux t’engloutir.

En fait, que vaut le monde tout entier quand il se prive des dons qui viennent d’en haut ? Seule la lumière divine, si elle habite l’homme comme un feu et devient sa vie même, peut le relever de la mort et lui annoncer de façon probante la victoire divine de la Résurrection.

Autrement dit : tout part de Jésus et tout aboutit à Lui. C’est Lui qui assume tous les hommes. Il est à la fois cette immensité dans laquelle nous sommes membres les uns les autres et, en même temps, Il est cet Ami qui accueille chacun qui aime chacun et, comme se plaisait à le dire le Patriarche Athénagoras, qui préfère chacun. C’est pourquoi, Saint Paul n’hésitera pas à écrire : « Vous ne vous appartenez pas, vous avez été rachetés pour un prix », sous-entendu au prix du sacrifice de Jésus-Christ. Et il termine par cette invitation : « Glorifiez donc Dieu dans votre corps (ou par votre corps) » ( 1Cor. 6, 19-20 ).

Cet appel ou cet avertissement s’applique particulièrement aujourd’hui à la vie professionnelle menée par la vaste majorité d’entre les hommes. Plutôt que de nous laisser succomber à la tentation de faire une idole de nos projets, de notre travail, de nos ambitions, nous sommes appelés en premier lieu à suivre le chemin vers le Royaume des cieux, à œuvrer en vue de notre salut, à intensifier et approfondir notre vie spirituelle, c’est-à-dire notre vie dans l’Esprit de Dieu. Et enfin, nous sommes appelés à offrir toute notre vie en sacrifice de louange à la gloire de Dieu.

« Pour ceux qui sont réellement pris par l’acharnement au travail, et qui sont dépendants de l’activité professionnelle comme on peut l’être d’une drogue dure, faire une telle offrande de leur vie exige un immense retournement, une libération intérieure, une orientation tout à fait nouvelle. Cela exige d’abord un acte de repentir au niveau du cœur…» (Jean Breck in SOP 225, Paris 1998, p.20 ).

“Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu” (Mt 5,8 ). La vision de Dieu et la pureté du cœur vont de pair. Autrement dit, « Il n’y a qu’une voie pour commencer et elle consiste à vaincre ses passions ». Glorifier donc le Seigneur dans son corps ou par son corps, cela signifie que Dieu veut que rien ne soit perdu mais Il veut aussi que nous changions nos intentions et l’usage que nous faisons de toute chose et qu’en même temps la pureté prévale dans toutes les utilisations qui sont du ressort de notre quotidien.

De ce point de vue, il faut reconnaître que la prière de Jésus est une prière particulièrement bien adaptée à la tension du monde moderne. « Dans l’invocation du Nom béni de Jésus le cœur se purifie et se libère des passions, les forces du mal sont exorcisées à mesure de leur face-à-face avec le Nom de Jésus qui consume, purifie et sanctifie. Mais cette guérison profonde ne se limite pas à l’individu qui prie ; elle se communique autour de lui comme un parfum de bonne odeur (R.P. Boris Bobrinskoy : « Eucharistie et prière du cœur », Paris-ITO, 12/2/2006) ». Recommandée aux moines, la prière du coeur est tout autant aussi une prière pour les laïcs, pour tous ceux qui sont engagés dans le travail social, le soin des malades, l’enseignement, la visite des prisons (Kallistos Ware in « L’Art de la prière »,loc.cit.p44 ).

L’invocation du Nom de Jésus est une prière d’une extrême simplicité, qui unit, dans une courte phrase, deux sentiments essentiels de la piété chrétienne : l’adoration et la componction. C’est une prière à la fois pénitentielle et remplie de joie et de confiance aimante. C’est aussi une prière dont la portée est incontestable. « L’invocation du Nom de Jésus, écrit le Moine de l’Eglise d’Orient ( « La prière de Jésus », Chevetogne – Seuil / Livre de Vie, 122, 1963, p.70 ), fut, aux origines, commune à tous : elle demeure acceptable à tous, accessible à tous », à ceux qui ont été baptisés en Christ. Elle nous enseigne à déposer le Nom de Jésus sur toute créature, sur le monde intérieur, sur leurs souffrances et angoisses. Voici ce qu’écrit à ce sujet dom André Louf, que j’ai grand plaisir à citer ici : « Nous pouvons déposer le Nom de Jésus comme une bénédiction sur tout ce qui passe par nos mains, sur tout homme que nous rencontrons, sur chaque visage qui se tourne vers nous. Il faut toucher en priant, rencontrer en bénissant. Il est possible de reconnaître ainsi, avec Jésus, la nouvelle identité de l’homme et du monde (in « Seigneur apprends-nous à prier », Lumen Vitae, 1972, p.174) ».

De cette manière, invoquer le Nom de Jésus au cours de nos rassemblements œcuméniques n’est pas sans conséquences puisque toute prière chrétienne est une prière dans l’Eglise et une prière de l’Eglise, car c’est dans la prière que l’Eglise se manifeste en sa vérité ultime. « Avant de commencer à prononcer le nom de Jésus, écrit encore le Moine de l’Eglise d’Orient ( « On the invocation of the Name of Jesus », London 1950,pp.5-6 ), établissez en vous la paix et le recueillement ; demandez l’inspiration et l’aide de l’Esprit Saint… Ensuite commencer simplement…Commencez par prononcer le Nom avec adoration et amour. Tenez-vous y, répéter-le. Ne pensez pas que vous êtes en train d’invoquer le Nom, pensez à Jésus lui-même. Dites son Nom lentement, doucement, paisiblement ».

Commençons donc par prononcer, d’un seul cœur et d’une seule et même voix, son Nom et l’Esprit Saint nous conviera à une exigence renouvelée de sainteté personnelle, de fidélité ecclésiale, de lucidité, d’honnêteté et non moins d’humilité dans le témoignage commun qui est le nôtre ici et maintenant, là où l’Esprit nous conduit.

Par sa Passion, sa Croix et sa glorification, le Christ est devenu « Esprit et Seigneur » (Actes 2,36). Pour qu’à notre tour, dans l’effusion du Saint Esprit, nous puissions nous aussi prétendre devenir, dans notre engagement au service de l’Unité, pneumatophores et christophores, oints du même Esprit divin qui a ressuscité Jésus, nous sommes appelés, ce me semble, à franchir trois étapes. Trois étapes initiales sans lesquels riens ne pourra être scellé au Nom de Jésus.

Première étape : tenter de faire coïncider, au moins autant que faire se peut, le dire et le faire.

On ne peut pas changer le cours du monde. Les guerres et les péchés continuent de prévaloir. Le réalisme impose d’admettre que le monde a toujours été comme cela et que rien ne changera. Mais le réalisme ne doit pas tuer l’espérance tout comme il ne doit pas réduire ou arrêter l’effort : la figure du monde, nous le savons bien, restera toujours la même. Ce qu’il faut changer, c’est l’ordre du monde ainsi que son esprit. Les Ecritures Saintes ne disent nulle part que, lors du Second Avènement, Dieu trouvera un monde meilleur. Mais cela ne doit en aucun cas nous détourner de notre responsabilité d’œuvrer à améliorer le monde et à amener les autres, qui sont nos frères et sœurs, à une naissance nouvelle par la vérité qui est en nous. Il ne faut jamais perdre de vue que notre monde vit sur plusieurs registres. La lumière y voisine avec les ténèbres. Le chrétien doit incessamment éclairer les ténèbres et répandre la lumière autour de lui. C’est en adoptant les desseins de Dieu que le monde s’adaptera aux méthodes divines.

Deuxième étape : essayer de penser un peu moins contre.

Ne traitons pas les autres comme nous ne souhaitons pas qu’ils nous traitent. Ils ont leur manière d’aimer le Christ ; ils ne manquent ni de sainteté, ni de création de beauté, ni d’intelligence de la foi. Nous n’avons pas à condamner mais à témoigner et à partager. Il peut en résulter un grand approfondissement pour les autres et pour nous-mêmes.

Et encore. L’autre n’est connu que de Dieu seul. Lui seul est juge. Nous n’avons pas à préfigurer le Jugement à Sa place et encore moins à jouer au juge.

« Certes, il y a les réalistes ou ceux qui se prétendent tels, qui se déclarent des maîtres de l’analyse psychologique et psychiatrique mais ils ne sont souvent que pétris de préjugés. Supposons qu’ils peuvent découvrir certains faits ou même tout ce qui concerne la personne analysée. Cela voudrait-il dire que tous ces agissements viennent réellement du cœur ? Si personne ne peut juger son propre cœur, car il n’y a qu’un seul, Dieu, qui puisse sonder les cœurs – y compris le mien – et les reins, comment puis-je me permettre d’examiner les secrets intimes des autres, quelles que soient leurs paroles ou leur comportement ? L’être humain est un mystère dont Dieu seul, qui l’a créé, peut sonder les profondeurs. Et dans la même logique, tout pécheur est aussi un mystère. Il ne m’a été donné que d’essayer de guérir les blessures du pécheur. A l’instant où je contribue plutôt à le briser, je me brise moi-même » (métropolite Georges Khodr du Mont-Liban in SOP 241, Paris 1999, p.33).

Troisième étape : rendre au travail de l’Esprit Saint dans l’histoire sa dimension ouverte et créatrice.

L’Esprit, quand il prend la décision de souffler, trouve toujours ses propres moyens d’expression. Et ces moyens ne se limitent pas au domaine de la raison. La raison, si elle ne visite pas le cœur pour s’y illuminer et reconnaître ses propres limites et sa fragilité, sera de plus en plus acide et se contentera d’accumuler les choses sans plus. Le cœur seul est le lien entre toutes choses.

Ce que je veux dire ici, c’est que chaque être est plus important que ses œuvres. Toute organisation du monde, si elle se limite à l’esprit du monde, périra avec le monde. Il faut bien reconnaître qu’il y a par moments dans nos Eglises des réalisations notoires et des institutions florissantes qui se sont pourtant avérées étrangères à l’Esprit Saint.

De même les hommes, même au plus profond du désert, ont besoin d’être aimés. Mais qui peut prétendre agir de la sorte s’il ne croit pas en Dieu, s’il ne réalise pas qu’il est en Dieu et qu’il voit toute l’existence par son regard ? Dis-toi bien que ton frère ne se repentira que si tu l’aimes. Il faut donc l’aimer, le reconnaître meilleur que toi ; reconnaître tout pécheur, tout criminel, tout dépravé plus beau que toi car tu as été appelé pour voir les vicissitudes en toi-même et jamais dans les autres. Encore une fois : parce que l’autre n’est connu que de Dieu seul, seul Dieu peut le juger !

Objection, me direz-vous : qu’en est-il alors de la justice sociale, de la justice humaine voire même de la justice ecclésiale ? Comment fixer en soi les frontières de ce qui est permis ou non, de ce qui est possible ou non ?

Je vous répondrai par ce récit (Père Syméon Cossek, in SOP 225, Paris 1998, pp.26 et suivantes). Saint Jérôme, dans une vision, est interrogé par le Seigneur qui lui dit ; « Que me donnes-tu aujourd’hui, Jérôme ? – Je te donne, Seigneur ma prière. Bien, dit le Seigneur, mais encore ? -Seigneur, je te donne mon ascèse. Très bien, dit le Seigneur, et quoi d’autre ? –Seigneur, je te donne toutes mes nuits de veille. Très bien, Jérôme, et que me donnes-tu encore ? – Seigneur, je te donne tout l’amour que je porte à ceux qui viennent me visiter. Parfait, dit le Seigneur, et encore ?-Oh, Seigneur, dit Jérôme, mais je ne sais plus, je n’ai plus rien…Es-tu bien sûr, Jérôme ? – Mais oui, s’exclame Jérôme ! Alors le Seigneur dit à Jérôme : « Il y a quelque chose que tu ne m’as pas donné, ce sont tes péchés »…

C’est exactement le résumé de l’expérience de la Samaritaine et de Zachée, qui eux ont donné leurs péchés, affirme le Père Syméon. Et cela pourrait être aussi la nôtre, après tout !

Quoiqu’il en soit, le Seigneur attend que nous venions dans l’état où nous sommes, pauvres, faibles, démunis, chaotiques pour lui dire : « Je sais que tu m’aimes et je viens dans l’état où je suis, panse mes plaies par le baume de ta miséricorde ».

Cela n’est possible que si nous nous posons sous le regard de Dieu avec humilité. L’humilité n’est pas une vertu qui nous est spontanée, elle n’est pas facile à acquérir, c’est l’antidote de l’orgueil. Or, depuis Adam jusqu’à la fin des temps, l’homme est marqué par l’orgueil.

C’est pourquoi, « la véritable thérapie de l’orgueil, c’est l’humilité. L’humilité ne peut être qu’un cadeau de Dieu qui commence par ce regard d’amour qui se pose sur nous un jour, quelles que soient les circonstances de cette rencontre avec le Seigneur. Il est nécessaire qu’un jour, dans nos vies, le Seigneur nous rencontre, nous parle, nous aime de telle façon que nous comprenions, non par notre intellect mais par le cœur que nous sommes aimés. Ceci est très important, car nous sommes tentés en permanence par le désespoir, par la révolte, face à notre faiblesse, quelle qu’en soit la forme. A certains moments nous ne voulons plus entendre parler de cette faiblesse, nous ne la supportons plus. Mais là où nous faisons erreur c’est lorsque nous prenons le chemin de la révolte ou alors de la désespérance – chemin sans issue, chemin du néant » (Père Syméon Cossec, loc.cit.).

Amenés à lutter contre les passions, contre notre faiblesse et notre péché, nous ne pouvons le faire que si véritablement nous avons reçu la miséricorde du Seigneur et la grâce de l’humilité. C’est alors que nous pourrons vraiment accéder au repentir et à la conversion.

D’où l’importance de l’habitude de la prière qui nous apprend comment le Christ fait participer chacun à son amour selon ses capacités. D’où l’importance de la prière de Jésus. « Tout croyant, écrit Syméon de Thessalonique, doit constamment confesser ce Nom, à la fois pour proclamer notre foi et pour témoigner de notre amour pour le Seigneur Jésus-Christ, dont rien ne peut nous séparer et aussi, à cause de la grâce qui nous est donnée par son Nom, à cause de la rémission des péchés, de la guérison, de la sanctification, de l’illumination et par-dessus tout du salut qu’il nous confère » ( « L’Art de la Prière », loc.cit.p.118 ).

Tout dans notre vie découle de notre capacité et de notre désir de prier. La prière nous situe toujours dans le moment présent alors que nous sommes sans cesse tentés de vivre soit dans le passé soit dans l’avenir, jamais dans le moment présent. Nous avons donc besoin d’une prière quotidienne afin de nous ramener sur terre, de nous ramener à la réalité, là où Dieu nous appelle à assumer notre vie, nos rapports et nos responsabilités vis-à-vis des autres, pour que la prière devienne le fondement de tout ce que nous sommes, de tout ce que nous disons, de tout ce que représente notre témoignage dans le monde et pour le monde au nom de Dieu, notre Père.

« Mais que doivent faire, se demande Théophane le Reclus, les gens faibles et indolents, en particulier ceux qui, avant d’avoir compris la nature véritable de la prière, se sont endurcis dans la routine et refroidis par une lecture formaliste des prières obligatoires ? La technique de la prière de Jésus peut être pour eux un refuge et une source de force. N’est-ce pas d’ailleurs avant tout pour eux qu’a été inventée cette technique, à seule fin de greffer la prière intérieure dans leur cœur ? » ( « L’Art de la Prière », loc.cit.p.120 ).

Ainsi, nous voyant sous la lumière de Dieu, nous pourrons enfin dire au Seigneur : « Purifie-moi et aide-moi à me transformer ou plutôt, transforme-moi, aide-moi à me tourner vers toi sans cesse, sans un regard en arrière, autrement dit : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, le pécheur ! ».

+STEPHANOS, métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

Tallinn, le 19 mai 2008.

Conférence prononcée par le Métropolite Stephanos de Tallinn, lors de la 32è rencontre interconfessionnelle et internationale de religieux et religieuses qui s’est tenue au monastère de Sobrado en Espagne du 12 au 18 juillet 2008