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L’amour parfait et la juste rétribution du mérite

 

St Jean Chrysostome

Toute bonne action est un fruit de l’amour ; aussi l’amour est-il un sujet sur lequel on revient souvent. Tantôt c’est le Christ qui dit : « A cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ;  » (Jn 13,35) tantôt c’est Paul qui s’écrie : « Ne devez rien à personne, si ce n’est l’amour qu’on se doit les uns aux autres. » (Rom 13,8) Il ne parle pas de l’amour purement et simplement ; mais il ajoute que nous nous le devons les uns aux autres. De même que nous sommes constamment tenus de donner au corps sa nourriture, et que nous la lui donnons constamment, car c’est une dette qui s’impose à notre vie tout entière ; ainsi, d’après l’Apôtre, en est-il de l’amour ; et nous devons le faire avec d’autant plus de zèle que l’amour nous mène à la vie éternelle et qu’il demeurera éternellement avec nous. « Ces trois choses restent, la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus parfaite de toutes est l’amour. » (1 Cor 13, 13) L’amour ne nous est pas appris seulement en paroles, elle nous est appris encore en exemples. La première leçon qui nous en est donnée, c’est par la manière dont nous avons été créés. Dieu forma le premier homme et Il ordonna que tous les autres naquissent de celui-ci, afin que nous nous regardions comme une seule et même famille et que nous persévérions dans des sentiments d’amour les uns vis-à-vis des autres. Après cela Il s’est servi des échanges pour entretenir cet amour mutuel ; de quelle manière, je vais vous le dire : en comblant la terre de biens, Il a donné à chaque contrée une espèce particulière de fruits ; de la sorte, les besoins que nous avons nous attirent les uns vers les autres, nous livrons à nos semblables le superflu que nous avons, nous en recevons ce qui nous manque, et ainsi, s’entretient l’amour. La même mesure, Dieu l’a appliquée aux individus. Il n’a pas permis à chacun de tout savoir ; mais l’un connaîtra la médecine, l’autre l’art de bâtir, l’autre une autre chose, de façon que, ayant besoin les uns des autres, nous nous aimions de façon que, ayant besoin les uns des autres, nous nous aimions mutuellement. 
Il en est de même pour les dons spirituels, à ce que nous apprend l’Apôtre : « L’un reçoit le don de parler avec sagesse, l’autre celui de parler avec science, l’autre celui de prophétie, l’autre celui de guérir, l’autre celui de parler diverses langues, l’autre celui de les interpréter. » (1 Cor 12,8-10) Cependant il n’y a rien au-dessus de l’amour, et c’est pourquoi il la préfère à tout le reste en ces termes : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand j’aurais le don de prophétie, et quand je pénétrerais tous les mystères, quand j’aurais une foi capable de transporter les montages, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. » (1 Cor 13,1-2) Il ne s’arrête pas encore là ; et il déclare que la mort pour la religion ne lui servirait de rien s’il n’avait l’amour. Ce n’est pas sans motif qu’il exalte cette vertu à ce point ; il savait, cet observateur des commandements de Dieu, il savait parfaitement que là où cette vertu a jeté de profondes racines, les fruits de toutes sortes de biens ne tardent pas à se montrer. En effet, ces commandements : « Tu ne commettras point l’impureté, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne diras pas de faux témoignage, » et tous les autres quels qu’ils soient, sont impliqués dans ce commandement capital : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Ex 20,13-16 ; Lév 19,18 ; Gal 5,14) Mais pourquoi nous appesantir sur ces considérations d’un ordre peu élevé, tandis que nous garderons le silence sur des considérations d’un ordre sublime ? C’est l’amour qui a fait descendre jusqu’à nous le Fils bien-aimé de Dieu, qui l’a fait habiter et converser avec les hommes, chasser les terreurs de l’idolâtrie, publier la religion véritable, instruire les hommes à s’aimer les uns les autres. « Dieu a tellement aimé le monde, dit l’évangéliste Jean, qu’Il a donné son Fils unique afin que quiconque croira en Lui ne périsse pas, mais obtienne la vie éternelle. » (Jn 3,16) Aussi Paul, dans l’ardeur de son amour, laissa-t-il échapper ces paroles célestes : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Sera-ce la tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ?  » (Rom 8,35) Et, dédaignant ces obstacles, sans importance à ses yeux, il en signale de plus redoutables : « Non, poursuit-il, ni la vie, ni la mort, ni le présent, ni l’avenir, ni tout ce qu’il y a de plus haut, ni tout ce qu’il y a de plus profond, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Ibid., 38-39) Rien n’était donc capable d’éteindre dans l’âme de ce bienheureux l’amour qui l’embrasait, ni le ciel, ni la terre ; toutes ces choses, il les dédaignait pour le Christ. De même, si nous examinions la vie des autres saints, nous trouverions que l’amour a toujours été pour tous le principe de leur crédit sur le cœur de Dieu. 
C’est l’amour qui vous découvre dans le prochain un autre vous-même, qui vous apprend à vous réjouir de sa prospérité comme de la vôtre, à gémir sur ses infortunes comme sur vos infortunes propres. C’est l’amour qui fait de nous tous un seul corps et de nos âmes autant de tabernacles du saint Esprit ; car cet Esprit de paix aime à se reposer, non là où règne la division, mais là où règne l’union entre les cœurs. C’est l’amour qui fait des biens de chacun les biens de tous, comme nous l’enseigne le Livre des Actes : « La foule des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Aucun d’eux ne considérait ce qu’il possédait comme lui appartenant ; mais toutes choses leur étaient communes ; on les distribuait à chacun selon ses besoins. » (Ac 4,32-35) Quelle muraille formée de pierres énormes et fortement cimentées les unes avec les autres, pourrait par sa solidité et sa masse, braver aussi bien les efforts de l’ennemi que cette société d’hommes s’aimant entre eux et unis les uns aux autres par les liens de la plus parfaite harmonie ! Les assauts du démon lui-même viendront se briser contre une telle muraille. Et certes je le comprends. Oui, tous ceux qui se présenteront à ses attaques étroitement pressés les uns contre les autres, sans qu’aucun passe jamais à l’ennemi, seront victorieux de ses stratagèmes, et pourront dresser les brillants trophées de l’amour. De même que les cordes d’une lyre, quel qu’en soit le nombre, exhalent les plus mélodieux accents lorsqu’une main savante en harmonise les sons ; de même les âmes qu’unit l’harmonie des sentiments exhalent les suaves accents de l’amour. Voilà pourquoi Paul recommandait aux fidèles de rechercher dans leurs paroles, dans leurs pensées, les mêmes sentiments, d’estimer les autres supérieurs à eux-mêmes, de façon à ce que l’ambition ne chassât point l’amour, et que tous, luttant de modestie entre eux, vécussent dans une concorde sans nuage. 
 »Soyez, dit-il, par l’amour les serviteurs les uns des autres. Car toute la loi se résume en une seule parole : Vous aimerez le prochain comme vous-mêmes. » (Gal 5,13-14 ; Lev 19,18 ; Ph 2,3 et 3,16) Celui qu’anime l’amour ne veut pas seulement ne pas commander, il veut de plus être commandé ; il lui est moins doux de commander que d’obéir. Celui qu’anime l’amour aime mieux octroyer une grâce que de la recevoir, être le créancier d’un ami que d’en être à cet égard le débiteur. Celui qu’anime l’amour, tout en voulant faire du bien à son ami, ne voudrait point paraître le faire ; car, tout en voulant tenir le premier rang par la bienfaisance, il ne voudrait point que cela fût connu. Peut-être quelques-uns d’entre vous ne comprennent pas ce que je dis ; essayons de l’éclaircir par un exemple. Notre miséricordieux Seigneur voulait nous donner son Fils ; afin de paraître, non pas nous faire une grâce, mais s’acquitter d’une dette, il ordonne à Abraham de sacrifier son enfant : de cette manière, quand Il sacrifierait le Sien, Il ne semblerait pas octroyer un bienfait, mais payer une dette, dans les richesses infinies de sa Bonté. Je n’ignore pas que ceci paraît étrange à plusieurs : la raison en est que je parle d’une chose dont le ciel est maintenant la patrie ; car, si je parlais d’une plante qui croît dans l’Inde, et que personne n’aurait pu connaître par expérience, je n’arriverais point à la dépeindre fidèlement, quelque soin que j’y consacrasse ; de même, quoi que je dise, ce sera du temps perdu, parce que l’on ne comprend pas le sujet que je traite. Il s’agit, je le répète, d’une plante qui ne fleurit que dans le ciel. Mais, si nous le voulons, elle fleurira aussi en nous ; et c’est pour cela que l’on nous enseigne à dire au Père des cieux : « Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel  » (Mt 6,10) 
N’allons donc pas nous imaginer qu’il ne nous est pas possible de posséder ce bien. Oui, cela nous est vraiment possible, si nous voulons pratiquer la vigilance, si nous voulons surtout pratiquer toute sorte de vertus. C’est notre volonté libre qui nous dirige, et non la fatalité du destin, comme quelques-uns le supposent ; et c’est à vouloir ou ne pas vouloir qu’est le bien ou le mal. Voilà pourquoi le Seigneur nous a promis son royaume d’un côté, et de l’autre nous a menacés de ses châtiments. Or, Il n’eût pas agi de la sorte avec des êtres rivés à la fatalité ; car ces deux ordres de choses ne concernent que des actes émanés de la volonté. Le Seigneur ne nous eût pas non plus donné des lois et des conseils, si nous eussions été retenus dans les liens du destin. Mais, comme nous sommes libres et les arbitres de notre propre volonté ; comme c’est la négligence qui nous rend mauvais, et le zèle qui nous rend bons, Il a jugé nécessaire de nous préparer ces remèdes, et de nous amener soit à nous amender, soit à pratiquer la sagesse, par la crainte de ses châtiments et l’espèrence de son royaume. Indépendamment de ces preuves, nous trouverons dans notre propre conduite des faits qui démontrent que nous ne sommes les instruments aveugles ni du destin, ni de la fortune, ni de la nature, ni du cours des astres. Car, si tels étaient les principes véritables de nos actions, et non pas la liberté humaine, pourquoi donc battriez-vous de verges votre esclave voleur ? pourquoi traîneriez-vous au tribunal votre épouse adultère ? pourquoi rougissez-vous en faisant des choses déraisonnables ? pourquoi ne pouvez-vous pas supporter une seule parole injurieuse ? pourquoi, lorsqu’on vous traite d’adultère, de débauché, d’intempérant, appelez-vous cela une outrage ? S’il n’y a du côté de la volonté aucune faute, ni votre action n’est un crime, ni ce que l’on vous dit une injure. Dès lors que vous êtes sans pitié pour les gens vicieux, que vous avez honte vous-même en faisant le mal, que vous cherchez à vous cacher, et que vous qualifiez de détracteurs ceux qui vous reprochent votre conduite ; par toutes ces choses vous déclarez que la nécessité n’enchaîne pas notre vie, et que nous avons la dignité que donne la liberté. Lorsqu’il s’agit de personnes soumises à la nécessité, nous savons bien user d’indulgence. Qu’un possédé lacérât notre manteau, nous assaillît de coups, loin d’en tirer vengeance, nous gémirions et nous nous apitoierions sur son état. Et pourquoi cela ? Parce qu’il n’aurait point agi librement, et qu’il aurait été l’instrument de la violence du démon. Nous excuserions de même toute autre action opérée sous l’influence de la fatalité ; et c’est parce que nous sommes convaincus de la nullité de cette influence, que ni les maîtres ne pardonnent à leurs esclaves, ni les hommes à leurs femmes, ni les femmes à leurs maris, ni les pères aux enfants, ni les maîtres aux disciples, ni les princes aux sujets, et qu’au contraire nous sommes inexorables dans la recherche des crimes de nos semblables, et que nous en poursuivons de même la punition, recourant aux tribunaux, mettant en œuvre les châtiments corporels et les reproches, et prenant toute sorte de moyens pour délivrer du mal ceux à qui nous nous intéressons. A nos enfants, par exemple, nous donnons des gouverneurs, nous leur imposons des maîtres, nous employons les menaces, les fouets, et une infinité d’autres moyens, afin de les former à la vertu. 
Mais quel besoin avons-nous d’efforts et de sueurs pour pratiquer le bien ? S’il est écrit qu’un tel sera bon, il aura beau dormir et ronfler, il sera bon ; ou plutôt il ne sera pas, car on ne peut appeler bon celui qui est tel par nécessité. Quel besoin avons-nous d’efforts et de sueurs pour éviter le mal ? S’il est écrit qu’un tel sera méchant, quelques épreuves qu’il subisse, il sera méchant ; ou plutôt il ne le sera pas, car on ne saurait appeler méchant celui que la nécessité pousse dans une mauvaise voie. De même, encore une fois, que vous ne traiterez pas de détracteur le démoniaque qui vous injuriera, vous frappera même, et que vous rendrez le démon et non lui responsable de ces injures ; de même nous ne devons pas qualifier de méchant l’homme que la fatalité pousse au mal, ni de bon celui qui fait le bien par le même principe. Accordez cela, et la confusion régnera dans les choses humaines ; il n’y aura plus ni vertu, ni vice, ni arts, ni rien de semblable. Pourquoi, lorsque nous sommes malades, nous donner tant de soins, dépenser de l’argent, appeler des médecins, employer des remèdes, nous imposer la diète, mettre un frein à la volupté ? Si le destin décide de la maladie et de la santé, superflues sont ces dépenses, superflues les visites du médecin, superflue la diète rigoureuse qui nous est imposée. Mais ces dernières preuves et les précédentes ont établi le contraire. Laissons donc cette fable du destin : non, la nécessité n’est point l’arbitre suprême des choses humaines, elles ne sont soumises à d’autre empire qu’à l’empire honorable de la volonté libre. 
Que ces raisons, et bien d’autres qu’il nous serait facile d’apporter à l’appui de cette proposition, si les présentes ne suffisaient pas à votre sagacité, nous déterminent à fuir le mal, à chérir la vertu, et à prouver ainsi par nos actes la pleine liberté que nous avons de faire ce qui nous plaît, afin de n’être point couverts de confusion au jour où nos oeuvres paraîtront à la lumière. Car « il faut que tous nous comparaissions au tribunal du Christ, dit Paul, afin de recevoir chacun ce qui nous est dû soit en bien, soit en mal. » (2 Cor 5,10) Pénétrons-nous, je vous en conjure, de la pensée de ce tribunal, supposons-le dressé devant nous, avec le juge sur son siège, au moment où toutes choses vont être révélées et montrées à tous les regards. Ce n’est point assez pour nous, en effet, d’y comparaître, tout ce qui nous regarde y sera de plus découvert. Et vous ne rougissez pas, et vous n’êtes point saisis de frayeur ! Est-ce que nous ne préférions pas souvent la mort à la révélation de l’une de nos fautes secrètes aux yeux des amis que nous vénérons ? Quels seront donc nos sentiments, lorsque nos péchés seront publiés à la face des anges et des hommes exposés à tous les regards ? « Je vous accuserai, dit le Seigneur, et je mettrai sous vos yeux vos péchés. » (Ps 49,21) Si, maintenant que cet instant est loin de nous, la seule hypothèse et la description verbale de cette scène réveille en nous les reproches accablants de la conscience, que deviendrons-nous quand l’heure fatale aura sonné, que l’univers tout entier sera rassemblé avec les anges et les archanges, les principautés et les puissances ; quand les trompettes feront entendre sans relâche leurs accents et se répondront les uns aux autres, quand les juges seront ravis au-dessus des nuages, et que les pécheurs éclateront en sanglots ? de quel effroi seront remplis en ce moment ceux qui resteront sur la terre ? Alors, dit l’Evangile,  » l’une sera prise et l’autre sera laissée ; l’un sera pris et l’autre sera laissé. (Mt 24,40) Que se passera-t-il dans leur âme quand ils verront leurs semblables transportés dans les cieux avec gloire, et eux-mêmes laissées ignominieusement ici bas ? Jamais, croyez-moi, jamais la parole n’exprimera la douleur qu’ils éprouveront. Avez-vous jamais vu des condamnés menés au dernier supplice ? Que se passe-t-il en eux, à votre avis, pendant qu’ils marchent jusqu’à la porte fatale ? Que ne voudraient-ils pas faire ou souffrir pour être soustraits à ce terrible moment ? Pour moi, j’ai ouï dire à des condamnés que la clémence impériale avait graciés sur le lieu du supplice, qu’ils ne voyaient plus des hommes dans les hommes, tant leur âme était troublée et frappée ! Et que parlé-je des condamnés ? Une foule immense se pressait autour d’eux, laquelle en grande partie ne les connaissait en aucune matière ; et bien ! si l’on eût scruté l’âme de ces spectateurs, quelque cruels, quelque inhumains, quelque fermes qu’ils fussent, on n’en eût trouvé aucun que la terreur et la tristesse n’eussent point ému et bouleversé. 
Si la mort de gens avec qui nous n’avons aucun rapport nous touche à ce point, quelle sera notre émotion lorsque nous serons nous-mêmes exposés à un sort plus terrible encore, exclus du bonheur ineffable du ciel, et voués à des supplices sans fin ? N’y eût-il pas d’enfer, quel châtiment ce serait d’être privé de cette gloire éclatante et d’être honteusement repoussé ! Ici bas bien des gens qui verront le cortège de l’empereur, éprouveront moins de plaisir à contempler ce spectacle qu’ils n’éprouveront de peine en songeant à leur pauvreté et en pensant qu’ils ne sont point au nombre des courtisans en faveur, et de ceux qui approchent le prince. Que sera-ce donc alors ? Car croyez-vous que ce soit un châtiment léger que de ne point faire partie des célestes chœurs, de ne point participer à cette gloire inénarrable, d’être rejeté loin et bien loin de cette fête et de ces biens incompréhensibles ? Ce n’est pas tout ; il faut y joindre les ténèbres, le grincement des dents, les fers que rien ne pourra briser, le ver qui ne meurt pas, le feu qui ne s’éteint pas, le désespoir, les angoisses de l’âme, la langue ardente comme celle du mauvais riche, des pleurs que personne n’entendra, des gémissements et des frémissements que personne ne remarquera, des regards jetés de tous les côtés sans qu’il paraisse un consolateur ; que penser des infortunés plongés dans ces supplices ? Quel sort plus affreux, plus misérable que le sort de ces âmes ? 
Nous arrive-t-il d’entrer dans une prison, à la vue des prisonniers qui se présentent les uns livides, les autres chargés de fers, les autres plongés dans de ténébreux cachots, nous sommes brisés d’épouvante, et nous nous gardons bien après cela de rien faire qui puisse nous exposer à partager un semblable malheur ; mais, quand il s’agira d’être précipités chargés de chaînes dans les tourments de l’enfer, quels seront nos sentiments, quelle sera notre conduite ? Ces chaînes ne sont pas des chaînes de fer, mais des chaînes de feu et d’un feu qui ne se consume jamais ; ce n’est pas non plus à la surveillance d’êtres semblables à nous que nous serons confiés, à des êtres que nous puissions fléchir, mais à des anges terribles et inexorables dont nous ne pourrons supporter le regard et que nos outrages envers le Seigneur auront enflammés de courroux. Il n’y aura pas là, comme sur la terre, de soulagement à espérer soit en argent, soit en nourriture, soit en paroles : là point de consolation, point de clémence à espérer. Un Noé, un Job, un Daniel y vissent-ils quelques-uns des leurs dans les tourments, ils n’oseraient venir à leur aide et leur tendre la main : les sentiments de pitié qu’inspire la nature seront alors eux-mêmes effacés. Comme il y a aura des justes dont les enfants ou les parents seront pécheurs, la volonté et non la nature étant le principe du mal, afin qu’ils jouissent d’un bonheur sans mélange et que ce bonheur ne soit pas altéré par l’influence irrésistible de la compassion, ce sentiment s’évanouira dans leurs âmes, et ils partageront l’indignation du Seigneur contre leurs propres entrailles. Même dès à présent, lorsque leurs enfants sont trop libertins, ils les retranchent de leur famille et ils les déshéritent ; à plus forte raison agiront-ils ainsi au jour du Jugement. Loin de vous donc toute espérance de bonheur, si vous ne faites pas le bien, quelque justes que soient vos nombreux ancêtres. « Chacun recevra, est-il écrit, selon ce qu’il aura fait soit en bien soit en mal. » (2 Cor 5,10) 
Prêtons, je vous en prie, l’oreille à ces paroles, et amendons notre vie. Si vous êtes dévoré du feu des convoitises criminelles, songez au feu de la vengeance, et les flammes impures s’évanouiront. Etes-vous tenté de proférer quelque propos criminel, songez au grincement des dents, et cette crainte vous servira de frein. Voudriez-vous prendre le bien d’autrui, rappelez-vous la sentence du Juge : « Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures ; » (Mt 22,13) et vous repousserez ce désir. Etes-vous dur et inhumain, songez à ces vierges qui n’ayant plus d’huile dans leurs lampes éteintes ne furent point admises à cause de cela dans la chambre de l’Epoux ; et vous sentirez dans votre cœur pénétrer l’humanité. L’intempérance et la volupté exciteraient-elles vos désirs, écoutez le riche s’écrier : « Envoyez-moi Lazare, afin que de l’extrémité de son doigt il rafraîchisse ma langue embrasée, » (Luc 16,24) faveur qui ne lui fut pas accordée ; et vous prendrez aussitôt ces mouvements en aversion. De cette manière il n’est pas de vertu que vous ne parveniez à pratiquer ; car Dieu ne nous a rien ordonné de difficile. Savez-vous ce qui fait paraître difficile les commandements ? Notre négligence. Soyez fervents, et ce qui semble lourd vous sera léger et facile ; soyez négligents, et ce qui est léger vous semblera insupportable. Pénétrons-nous bien de ces considérations, et, loin d’exalter le bonheur des gens qui vivent dans la mollesse, nous en aurons toujours en vue la fin. Sur la terre ce bonheur a pour fin la matière et le fumier ; dans l’autre vie le ver rongeur et le feu. N’exaltons pas le bonheur des ravisseurs du bien d’autrui, et considérons-en la fin : ici-bas ce ne sont qu’inquiétudes et labeurs ; dans l’autre vie ce sont des chaînes insolubles et les ténèbres extérieures. N’exaltons pas le bonheur des amants de la gloire ; considérons-en plutôt la fin : ici-bas servitude et déception, dans l’autre vie douleurs profondes et un feu qui ne finira pas. Si nous nous tenons à nous-mêmes ce langage, et si nous ne cessons de l’opposer à nos mauvais penchants, nous arriverons rapidement à fuir le vice, à pratiquer la vertu, à étouffer en nous l’amour des biens présents et à y allumer celui des biens à venir. Qu’ont donc les biens présents de solide, de nouveau, de surprenant, pour que nous leur consacrions toute notre activité ? Ne les voyons-nous pas emportés dans un cercle qui ne s’arrête jamais, comme le jour et la nuit, la nuit et le jour, l’hiver et l’été, l’été et l’hiver ; et puis rien de plus ? Embrasons-nous plutôt de l’amour des biens futurs. Magnifique est la récompense réservée aux justes, et la parole ne saurait en donner une parfaite idée : ils revêtiront après la résurrection des corps incorruptibles et ils partageront la Gloire et la Royauté du Christ. 
La grandeur de cette félicité, la comparaison suivante nous la fera comprendre, ou plutôt nous ne la comprendrons jamais clairement ; servons-nous cependant des biens que nous avons sous les yeux pour nous en faire une idée, et tâchons autant qu’il est en nous de faire saisir le sujet qui nous occupe. Dites-moi donc : si vous, vieillard décrépit et misérable, on vous proposait de vous rajeunir tout à coup, de vous ramener à la fleur de votre âge, de telle sorte que vous l’emportiez sur tous en force et en beauté ; si on s’engageait en outre à vous donner durant mille années l’empire de la terre entière, au milieu de la plus profonde paix, que ne seriez-vous point décidé à faire et à subir pour jouir de ces avantages ? Or, voilà le Christ qui vous promet, non ces biens, mais des biens infiniment plus précieux. Ce n’est pas d’après la différence qui existe entre la vieillesse et la jeunesse qu’il faut juger de celle qui existe entre la corruption et l’incorruption, ni d’après la différence qui sépare la pauvreté de la possession d’un empire, qu’il faut juger de la différence qui sépare la gloire présente et la gloire future, mais d’après celle qui existe entre un songe et la réalité. Je me trompe encore, et il n’est pas de comparaison capable d’exprimer au juste cette différence. Impossible de l’exprimer du côté du temps ; comment, en effet, rapprocher des choses présentes une vie qui n’aura pas de terme ? Du côté de la paix il y a autant de différence entre ces deux vies qu’entre la paix elle-même et la guerre ; et quant à l’incorruption, elle s’éloigne autant de la corruption que s’éloignerait de l’argile impure une perle de la plus belle eau. Ou plutôt, quoique vous disiez, vous resterez toujours au-dessous de la vérité. Quand même je comparerais les corps des bienheureux à une lumière radieuse, à l’éclair le plus éblouissant, je ne donnerais point une exacte idée de leur éclat. Que de richesses, que de corps ne devrait-on point sacrifier pour arriver à cette gloire ? De combien de vies même ne mériterait-elle pas le sacrifice ? Si maintenant on vous introduisait à la cour, si le prince vous adressait la parole en présence d’une foule nombreuse, et vous invitait à partager avec lui sa table et son palais, est-ce que vous ne vous proclameriez pas le plus fortuné des hommes ? Et, quand il dépend de vous de monter au ciel, de vous présenter au souverain même de l’univers, d’y briller de l’éclat des anges, d’y jouir d’une gloire inaccessible, vous vous demandez en hésitant si vous renoncerez aux biens de la terre, quand il vous faudrait sacrifier la vie elle-même avec les transports de la joie et de l’allégresse la plus grande et avec l’empressement le plus vif ! Pour obtenir une préfecture où vous trouverez l’occasion de commettre une foule d’injustices, car je ne qualifierai pas cela de bénéfice véritable, vous dépensez votre fortune, vous empruntez l’argent d’autrui, vous n’hésiteriez pas s’il le fallait à engager votre femme et vos enfants ; et quand on vous offre le royaume des cieux, un royaume que l’on est certain de posséder toujours, vous reculez, vous hésitez, et vous soupirez après les richesses ! 
D’ailleurs, si les parties apparentes du ciel sont si belles, si douces à voir, les parties invisibles et les cieux des cieux, quelle beauté n’auront-ils pas ? puisque vous ne pouvez pas les voir des yeux du corps, élevez-vous par la pensée, montez au-dessus de ce ciel, et contemplez le ciel supérieur avec sa hauteur incommensurable, sa lumière inaccessible, avec ses tribus d’anges, ses ordres d’archanges et les autres puissances incorporelles ; puis, descendant sur la terre, recourez aux images qu’elle nous fournit, et décrivez-moi l’appareil qui entoure un prince d’ici-bas, des gardes couverts d’or, un char ruisselant de pierres précieuses, attelé d’un couple de blanches mules étincelantes d’or, les lames dont le char est revêtu, les dragons représentés sur des vêtements de soie, les aspics aux yeux d’or, les chevaux couverts d’or et leurs freins d’or également. Toutefois, dès que nous apercevons l’empereur, nous ne voyons plus rien de tout cela : lui seul fixe nos regards avec son manteau de pourpre, son diadème, son trône, son agrafe, sa chaussure, et l’éclat de son visage. Après avoir rassemblé toutes ces images, transportez de nouveau votre pensée dans une sphère supérieure, et représentez-vous le jour terrible de l’avènement du Christ. Vous ne verrez alors ni chars dorés avec leur attelage de mules blanches, ni dragons, ni aspics ; mais vous verrez une scène tellement effrayante, tellement extraordinaire, que les vertus célestes seront elles-mêmes dans la stupeur ; « car les vertus des cieux, dit le Seigneur, seront profondément émues. » (Mt 24,29) Alors le ciel s’ouvrira tout entier, et le Fils unique de Dieu en descendra, escorté non d’une vingtaine ou d’une centaine de satellites, mais de plusieurs millions d’anges et d’archanges ; la terreur et l’effroi se répandront en tous lieux, la terre s’entr’ouvrira, tous les hommes qui auront vécu depuis Adam jusqu’à ce jour en sortiront et ressusciteront, tandis que le Sauveur s’avancera environné d’une gloire tellement éblouissante que ses rayons éclipseront la splendeur de la lune et du soleil. Oh ! que notre insensibilité est grande à nous qui, malgré les biens ineffables promis à nos efforts, soupirons encore avidement après les biens présents, et ne comprenons pas la malice du diable, qui se sert de ces biens sans valeur pour nous dépouiller des biens les plus précieux, qui nous donne un peu de boue pour nous ravir le ciel, qui nous montre une ombre pour nous dérober la vérité, et qui nous berce de songes riants, car les richesses d’ici-bas ne sont pas autre chose, afin que le jour venu, nous soyons les plus pauvres des hommes. Puisque nous n’ignorons pas ce vérités, évitons, mes bien-aimés, les pièges du démon ; prenons garde de partager sa condamnation et d’entendre un jour le Juge nous dire : « Eloignez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. » (Mt 25, 41) 
Mais Dieu est bon, cela n’arrivera pas, dit-on. – Donc, c’est en vain que cela a été écrit. – Assurément non, est-il répliqué ; mais ce n’est qu’une menace destinée à nous ramener à de meilleurs sentiments. – Et si nous ne voulons pas de ces sentiments, si nous persévérons dans l’iniquité, nous dispensera-t-Il de ces supplices ? Dans ce cas Il refusera également aux bons leurs récompenses. – Il ne la leur refusera pas ; car il est digne de Lui de donner encore au delà du mérite. – D’où il suit que ce qui concerne les récompenses est certain, et que ce qui concerne les châtiments ne l’est pas ! Oh ! que la perfidie du démon est grande, que cette apparente humanité a de cruauté ! Car c’est lui qui est l’auteur de ce raisonnement, source d’une erreur si funeste et de notre négligence. Il sait que la crainte du châtiment est pour notre âme un frein qui la retient, qui l’éloigne du vice ; et voilà pourquoi il met tout en oeuvre pour arracher de notre cœur ce sentiment, afin que nous nous précipitions aveuglément dans l’abîme. Comment triompherons-nous de ces efforts ? Les témoignages de l’Ecriture que nous invoquons n’ont, d’après nos contradicteurs, qu’une valeur comminatoire. Qu’ils parlent ainsi de châtiments à venir, soit, encore que ce langage ne manque pas d’impiété ; mais, quant aux châtiments passés, et dont la réalité est incontestable, ils ne sauraient maintenir ce système. Nous leur adresserons donc cette question : 
Avez-vous ouï parler du déluge, du fléau qui frappa l’humanité tout entière ? est-ce par forme de menace seulement qu’il avait été annoncé ? Ces menaces n’ont-elles pas été exécutées dans toute leur étendue ? Les montagnes de l’Arménie où l’arche se reposa n’en rendent-elles pas elles-mêmes témoignage ? Les restes de l’arche n’ont-ils pas été conservés jusqu’à ce jour ? Alors aussi, bien des gens disaient ce que vous dites ; et, durant les cent ans de la construction de l’arche, tandis que le juste les avertissait et préparait le bois, personne n’ajoutait foi à sa parole : or, c’est parce qu’ils ne crurent pas à ces menaces orales, que la vengeance éclata tout à coup sur leur tête. Croyez-vous que l’auteur de ce châtiment terrible ne voudra pas nous en infliger de plus terribles encore ? car les crimes de ce temps-là ne sont pas pires que les crimes d’aujourd’hui. En ce temps-là on se livrait à d’abominables impudicités : « Les enfants de Dieu entrèrent en rapports avec les filles des hommes. » (Gen 6,2) Aujourd’hui il n’est point de péché qu’on ne commette. Cependant entretenons-nous, si vous le voulez, de quelques autres châtiments, afin que le passé garantisse la certitude de l’avenir. Quelqu’un de vous a-t-il jamais voyagé en Palestine ? Je le pense : à vous donc de rendre témoignage de la vérité de mes paroles. Au delà de Gaza et d’Ascalon, non loin de l’embouchure du Jourdain, il y avait une vaste contrée d’une fertilité telle qu’elle était comparée au paradis lui-même. « Lot aperçut, dit l’Ecriture, toutes la contrée des bords du Jourdain, laquelle était arrosée comme le paradis du Seigneur. » (Gen 13,10) Eh bien, cette même contrée est aujourd’hui le plus désolé des déserts. On y voit des arbres, ces arbres ont des fruits, mais ces fruits sont un mémorial de la Colère divine. On y voit des grenadiers de superbe apparence et qui donnent d’eux-mêmes les plus favorables idées ; mais, quand on prend dans les mains les grenades et qu’on les brise, au lieu d’un fruit savoureux on ne trouve dedans que poussière et que cendre. Ainsi en est-il du sol, ainsi des pierres, ainsi de l’air. L’incendie y a tout dévoré, y a tout réduit en cendres, à l’exception de ce qui doit perpétuer le souvenir de la Colère de Dieu, et annoncer les supplices à venir. Sont-ce là des menaces verbales ; sont-ce là des cliquetis de mots ? Si quelqu’un ne croit pas à l’enfer, qu’il se souvienne de Sodome, qu’il pense à Gomorrhe, à ces châtiments du passé dont nous voyons encore aujourd’hui l’accomplissement. A ce sujet se rapportent ces passages de l’Ecriture parlant de la sagesse : « C’est elle qui délivra le juste de ce feu qui tombait sur la Pentapole, tandis que les impies périssaient. – Aussi cette terre reste déserte et fumante en témoignage de leurs crimes, et les arbres y portent des fruits qui ne mûrissent pas. » (Sag 10,6-7) Il faudrait maintenant désigner la cause de cette épouvantable catastrophe. Un seul genre de crime souillait les habitants de cette contrée, mais un crime horrible et abominable. Les jeunes gens étaient l’objet de leur passion, et c’est pour cela qu’ils furent dévorés par une pluie de feu. Or, aujourd’hui des crimes pareils, en plus grand nombre et de plus graves encore se commettent, et le feu ne tombe pas du ciel. Pourquoi cela ? Parce qu’un autre feu est préparé qui ne s’éteindra jamais. Comment, en effet, Celui qui punit un seul péché d’une façon si effrayante et qui n’eut égard ni aux supplications d’Abraham, ni à la piété de Lot, habitant de Sodome, nous pardonnerait-Il, nous coupables d’une infinité de crimes ? Non, cela ne se peut, et cela ne sera pas. 
Ne nous entendons pas à ces exemples ; citons encore d’autres châtiments, afin que cette abondance de preuves établisse convenablement la vérité qui nous occupe. Vous avez tous ouï parler de Pharaon, roi d’Egypte ; vous savez quelle vengeance Dieu tira de lui : ce prince fut englouti avec toute son armée, ses chars et ses chevaux, dans les flots de la mer Rouge. Quant aux châtiments que les Juifs eurent à subir, Paul vous en parle dans les termes suivants : « Ne commettons pas de fornication comme le firent quelques-uns d’entre eux ; si bien que vingt-trois mille périrent en un seul jour. Ne murmurons pas comme murmurèrent quelques-uns d’entre eux, lesquels furent frappés par l’exterminateur. Ne tentons pas le Seigneur comme quelques-uns le tentèrent, lesquels furent tués par le serpents d’airain. » (1 Cor 10,8-10) Si les Juifs expièrent de cette manière leurs péchés, quel traitement nous sera réservé ? Si l’on nous épargne, ce n’est pas que nous n’ayons à redouter aucun châtiment ; c’est au contraire pour que nous soyons plus sévèrement punis, dans le cas où nous refuserions de nous convertir. Voilà pourquoi, encore que rien de grave ne nous arrive, nous devons précisément à cause de cela craindre davantage. Les prévaricateurs cités tout à l’heure ne connaissaient point d’enfer, et ils ont été punis en ce monde ; mais nous, avec les péchés que nous commettons, si nous ne sommes aucunement frappés ici-bas, nous les expierons pleinement dans la vie à venir. Serait-il raisonnable d’ailleurs que ces malheureux beaucoup moins éclairés que nous, aient été frappés, et que nous, avec la doctrine parfaite dont nous avons été imbus, nous dont les fautes sont conséquemment plus graves, nous échappions aux châtiments ! Vous parlerai-je encore des autres désastres dont les Juifs furent frappés en Palestine par les Babyloniens, les Assyriens, les Macédoniens ; de la famine, des pestes, des guerres, de la captivité qui les désolèrent sous Titus et Vespasien ? Lisez l’ouvrage que Josèphe a écrit sur la ruine de Jérusalem, et vous aurez une idée de cette lamentable tragédie. Entre autres cala-mités, ils furent réduits à une si cruelle famine, qu’ils dévoraient leurs baudriers, leurs chaussures, et d’autres objets mille fois plus repoussants. La nécessité, comme le dit l’écrivain juif, transformait toutes choses en aliment. Ce ne fut pas encore assez, et ils dévorèrent jusqu’à leurs propres enfants. Encore une fois, ils ont été si terriblement châtiés ; comment ne le serions-nous pas, nous dont les fautes sont plus graves ? S’ils l’ont été dès cette vie, pourquoi ne le sommes-nous pas dès cette vie ? N’est-il pas évident, même pour un aveugle, que ce châtiment nous attend dans le siècle futur ? Jetons un coup d’œil sur ce qui se passe sur la terre, et nous n’aurons aucune peine à croire à l’enfer. 
Si Dieu est juste, s’Il ne fait pas d’acception de personnes, ce qui est incontestable, d’où vient que certains homicides sont punis ici-bas et que d’autres ne le sont pas ? D’où vient que certains adultères sont punis et que d’autres meurent sans avoir subi aucune peine ? Que de violations de tombeaux sont restées impunies ; que de vols, que d’injustices, que de rapines ! Et, s’il n’y a pas d’enfer, où les criminels expieront-ils leurs crimes ? Allons plus loin, montrons à nos contradicteurs que le dogme de l’enfer n’est point une fable. Ce dogme est tellement certain que les poètes, les philosophes, les écrivains de toute nature ont admis la nécessité d’une rétribution à venir, et ont désigné l’enfer comme le lieu de supplice des méchants. S’ils n’ont pu exposer la vérité dans toute sa pureté, n’ayant pour se guider que leur raison et des fragments incomplets de nos doctrines, ils n’en ont pas moins conçu l’idée d’un jugement. Ils nous parlent, en effet, des fleuves Cocyte et Phlégéton, des eaux du Styx, du Tartare, qui est aussi loin de la terre que la terre l’est du ciel, et de plusieurs genres de supplices : ils nous parlent, d’autres part, des Champs Elysées, d’îles fortunées, de prairies émaillées de fleurs, de parfums qui s’exhalent dans ce séjour, de brise légère, de chœurs que forment les bienheureux vêtus de robes blanches et chantant des hymnes ; en un mot, ils retracent le sort qui attend au sortir de cette vie les méchants et les bons. 
Que le dogme de l’enfer ne vous trouve donc pas incrédules, de crainte que nous n’y soyons engloutis : celui qui n’y croit pas devient à coup sûr plus négligent ; or, celui qui se néglige tombera certainement dans ce terrible séjour. Croyons sans hésitation aucune, entretenons-nous souvent sur ce sujet, et nos fautes deviendront plus rares. Le souvenir de ces entretiens profondément gravé dans notre âme, sera comme une médecine amère propre à la purifier de toute iniquité. Faisons donc usage de ce remède, afin d’acquérir la pureté qui nous rendra dignes de voir Dieu comme il est possible à un homme de Le voir, et de jouir des biens à venir, par la Grâce et l’Amour de notre Seigneur Jésus Christ : gloire à Lui dans les siècles des siècles. Amen.